La question du changement prend un sens aigu, alors que se profilent les élections présidentielles. Lors de ces échéances, les démocraties modernes sont confrontées à une question clé : les futurs dirigeants incarnent-ils un réel changement, et si oui, qui parmi les postulant(e)s est jugé(e) le plus apte à peser sur les grands aspirations de transformation de la société. Mais ce n'est pas tout : une fois élus, et plus le temps passe, sont-ils toujours en mesure de faire bouger les choses ? A cet égard, il est intéressant de noter qu'une partie des reproches faits aujourd'hui à Tony Blair est d'être dans une situation telle qu'il ne peut plus agir véritablement sur la vie des Britanniques, comme il l'a fait dans les premiers temps. Ce point de vue est très répandu dans les milieux d'affaires outre-Manche, qui ont pourtant longtemps fait confiance au leader travailliste, justement parce qu'il a réussi à faire bouger les lignes.
Glissons charitablement sur la situation française, où Jacques Chirac n'est plus en mesure de changer grand-chose (jugement très partagé à droite, notamment chez les sarkozistes), ou ne l'a jamais été (opinion communément admise à gauche). Et arrêtons-nous un instant sur cette contribution de la politologue américaine Suzanne Berger, Professeur de Sciences Politiques au MIT. Dans un article paru dans le Monde le 1er février, elle fait le parallèle avec la France bloquée des années 50, et l'arrivée au pouvoir de De Gaulle en 58 : « Ce que je soutiens, c'est que la société française d'aujourd'hui n'est pas un système unitaire totalement encadré, mais un monde de pressions contradictoires, de tensions, de forces et de faiblesses, d'attentes concurrentes, de désir du statu quo chez des personnes qui aspirent par ailleurs au changement. C'est une situation de conflit qui traverse les groupes et exige de chacun qu'il choisisse entre des idées complexes de générosité et d'égoïsme, le désir de changement et la peur d'en souffrir, la loyauté et l'engagement, le cynisme et la désertion. Les blocages que l'on voit aujourd'hui résultent de tout cela. Ce que j'espère, c'est que le changement pourra intervenir sur la base d'idées et de ressources qui existent déjà, à condition qu'elles puissent être stimulées, légitimées, et jugées prioritaires. Que faudrait-il pour déclencher de tels changements en France ? Que pourra bien faire le gouvernement au pouvoir en 2007 ? Ni M. Sarkozy ni Mme Royal n'ont l'envergure d'un de Gaulle... La question est donc de savoir quels espoirs raisonnables nous pouvons formuler à propos de leur capacité à promouvoir le changement dans un système politique bloqué, à aller vers une relation plus dynamique avec une société civile "en mouvement" et un gouvernement qui serait leur allié, et non leur maître. Que faut-il faire pour rendre réel ce scénario d'"optimisme
réaliste ».
Je trouve cette analyse remarquablement juste. Nous, Français, sommes dans la première moitié de la seringue : à quel candidat pouvons-nous faire confiance, en le jugeant sur sa capacité à faire bouger les choses ? Mais ensuite, se pose le problème des institutions françaises, figées et bloquantes, si l'élu a rempli sa part en matière de changement, et se retrouve un jour, comme Tony Blair, englué dans une situation telle qu'il ne puisse plus rien faire. Pourrons-nous alors l'échanger contre un dirigeant plus efficace ? Car les situations britannique et française nous le montrent : les dirigeants en place sont alors les premiers à faire de la résistance au changement, qui les concerne au premier chef, si l'on peut dire…