La campagne électorale présidentielle qui s'achève en France a mis en lumière des aspects surprenants du journalisme actuel. J'en ai noté quelques-uns au vol. Pas de solution, pour le moment, mais beaucoup de matière à réflechir.
- Rien vu (ou presque) des émeutes de la Gare du Nord : sans
revenir sur ce fait-divers, abondamment commenté, et qui ne s'est évidemment pas déroulé comme on l'a raconté, on a assisté au spectacle
étonnant de journaux quémandant auprès du public, dans leurs propres
colonnes, des vidéos, des photos, du son… Bref, de l'info, quoi !
- Passifs, lors du débat télévisé Royal-Sarkozy : Patrick Poivre d'Arvor et Arlette Chabot ont compté les points, sans réussir à peser sur le débat, sans forcer leurs interlocuteurs à répondre aux questions restées en suspens, sans intervenir, sans même réussir à maîtriser le temps. Bref, « Usés, vieillis, fatigués », pour paraphraser l'expression devenue célèbre, cantonnés au rang de simples spectateurs. Volubiles avant, quand il s'agissait de se placer dans la perspective historique des débats présidentiels. Impuissants quand il a fallu décider du contenu et du format de l'émission. Muets comme des fossiles de carpe pendant le débat. Diserts après.
- Entendus les commentaires soi-disant neutres des journalistes attendant qu'enfin l'horloge sonne 20 heures. Tout le monde savait, tous les blogs avaient mangé depuis belle lurette la consigne qu'ils s'étaient échinés à mettre en place et à respecter la fois précédente. Là, visiblement, c'était plié depuis plusieurs jours. Pas de suspense, donc plus de précaution à prendre. Sauf la télé, la radio et les sites internet des journaux qui s'obstinaient à ne pas remplir leur devoir d'information. Ce n'était plus un embargo, c'était la ligne Maginot, barrage dérisoire vue de la Suisse ou de la Belgique, où tous les internautes s'étaient depuis longtemps rués pour connaître la tendance
- Vues et revues, ces images des vidéo-reporters coursant Nicolas Sarkozy après l'annonce de son élection. Les mêmes images qu'en 1995, quoi. Sauf que cette fois-ci, certains se sont mis après Ségolène Royal. Et que d'autres filmaient cette caravane digne du Paris-Dakar, depuis une autre moto, depuis l'hélicoptère. Sacrée mise en abyme. En passant de chaîne en chaîne, on voyait qui filmait qui, qui avait pris l'avantage au virage, qui avait réussi à s'approcher suffisamment pour tendre enfin le micro, vers un personnage assis à l'arrière de sa Vel Satis de fonction, l'oreille collée au portable. Albert Londres, réveille-toi, ils sont devenus fous...
- Captée sur France 2, dans la soirée, cette phrase d'un journaliste : « Pendant qu'il pénétrait dans la salle Gaveau (donc en pleine
bousculade, NDB), un journaliste a demandé à Nicolas Sarkozy ce qu'il ressentait.
Il a répondu « Laissez-moi passer...»». Sans commentaire, charitablement.
- Le Monde, à l'envers... La "Une" du Monde ce soir d'élection était constituée quasi exclusivement de titres renvoyant à du son. Très bien, me direz-vous, bonne réactivité, du bi, voire du tri-média, quoi de plus neuf ? Du neuf, certes, mais édité avec des caractères de plomb, les pieds dans le ciment. Des accroches lestées de grenaille. Une titraille d'haltérophile.
Bref, pas mal de grain à moudre, si on veut redonner à ce métier son lustre d'antan.