C'est l'été et l'occasion de musarder dans Paris, le soir. Et de revenir un peu aux sources. Le Café de la Gare, rue du Temple. Au programme, Karine Lyachenko. Marrante comme tout, maniant la grossièreté avec un certain talent, son personnage dépeint sa vie sexuelle en état d'échec permanent. Des formules qui font mouche («Mon prochain mec, il faudra qu'il sache repasser. Parce qu'ils disent toujours qu'ils vont repasser et ils repassent pas...»). Un spectacle un peu inégal, deux ou trois sketchs tordants, le reste un peu juste. Moment le plus cocasse : elle arrive sur scène en battle-dress, avec une ceinture d'explosifs autour de la taille, et menace de tout faire sauter si un spectateur mâle ne monte pas illico sur la scène pour lui faire l'amour... Si ça avait pu aider, je me serais bien dévoué...
Tout ça pour dire que j'étais heureux de revenir au Café de la Gare. Des gens qui ne se la jouent pas, c'est quand même reposant. A la billetterie, c'est Sotha qui prend votre carte bleue. Pour ceux qui ne la connaissent pas, c'est un des esprits du lieu. Elle a écrit ou co-écrit avec Romain Bouteille des tonnes de pièces jouées sur place ("Le Jaune devant, le marron derrière", "Les robots ne sont pas méchants", "La Mort, le moi, le nœud", tourné aussi quelques films ("Au long de la rivière Fango, Le Graphique de Boscop", "Les matous sont romantiques").
En attendant dans la file, dans la cour, on entend toujours les musiques des cours de danse qui se déroulent plus haut. Le flamenco a toujours la cote. La façade du théâtre a été rénovée. En la voyant, je pensais au film Themroc, tourné sur place en 1972, avec une bonne partie de la troupe d'alors : Coluche, Patrick Dewaere, Sotha, Henri Guybet, Romain Bouteille, et Michel Piccoli dans le rôle titre. Film hallucinant qui raconte l'histoire d'un ouvrier qui se révolte, s'enferme chez lui, transforme son appartement en tanière, assomme le policier venu l'arrêter et le dévore en brochette de poulet...
Mais le plus étonnant est que tous les dialogues du film sont remplacés par des grognements, des cris ou des hurlements, ce qui ne gêne absolument pas la compréhension. Je me souviens de cette amie en exil à Londres, qui voulait voir un film français pour entendre un peu la langue de Molière, et qui s'était retrouvée, héberluée, devant cet Ovni du cinéma...
A cette époque, au Café de la Gare, on payait non pas à la tête du client, mais selon le résultat du tirage au sort avec une sorte de roue de la fortune qu'actionnait le caissier. Cela allait de -1 (on vous donnait alors 1 franc...) à 30 Francs. A l'intérieur, les comédiens plaçaient les téléspectateurs. Ils rappelaient les consignes de sécurité (« La sortie, c'est par là, par là, pas par là...»). Juste avant le lever de rideau, ils montaient sur scène avec la caisse en ricanant, puis partaient en courant. Avant le spectacle, on vous donnait un petit gâteau sec ou un bol de soupe (« La soupe est gratuite et obligatoire. Ce soir, c'est poireaux-pommes de terre »).
Rien n'a changé à l'intérieur du théâtre. La roue de la fortune, inactivée, est toujours à l'entrée. Sotha tient la caisse, et je me demande si ce n'est pas le plus réjouissant dans cette belle histoire.