Ça y est, je suis à fond. Mon profil Facebook est complet, mon carnet d'adresses devient consistant. J'envoie et je reçois des messages. Certaines personnes me “pokent”. C'est l'équivalent d'une petite tape sur l'épaule : vous pouvez jouer l'indifférence, soulever une paupière et esquisser un sourire, ou bien balancer une gifle. Ou renvoyer un poke. Ça peut durer un moment… J'ai compris avec difficulté le système des threads : on lance une discussion avec un groupe d'amis, et les réponses sont partagées entre tout le monde. En vertu de quoi, j'ai reçu un premier message d'un ami, message que je croyais personnel, mais qui était adressé en réalité à 20 personnes. Quand la discussion a commencé à s'animer dans le groupe, je recevais des messages un peu surprenants, genre « Qu'est-ce que t'es drôle, j'ai bien ri », susurré par une belle inconnue. Mais la suite « Ah oui, excellente l'idée de mettre inspecteur de l'éducation nationale » me mit au comble de la perplexité. Ces messages s'adressaient en fait uniquement à l'ami qui avait initié la causette. Et non à moi. Le temps de m'apercevoir de ma méprise, j'avais inondé automatiquement les autres de questions idiotes pour savoir de quoi il retournait. Ce qui n'a contribué ni à la clarté du débat, ni à ma réputation sur internet : j'ai dû passer pour le dernier des crétins et perdre 50 points de “rep' status” sur le net. Nous ne sommes que poussière…
L'ennui, quand on est nouveau sur Facebook, c'est qu'on est vite submergé si l'on y prend garde. J'ai donc appris à mettre le holà aux applications gentiment envoyées par des correspondants attentionnés. Il en arrive des caisses, beaucoup de vertes, et des tonnes de pas mûres. Le principe est (quasiment) toujours le même : on vous envoie une invitation à tester une activité passionnante : jouez au mini-golf, envoyez une boule de neige sur vos "friends", mettez-leur une bonne claque sur les fesses, détectez le romantique en vous en vingt questions, êtes-vous "hot", etc. Sur ce sujet, j'ai noté une profusion d'applications : “Hot”, “You are hot”, “Hot or not”, dont les différences sémantiques ne m'apparaissent pas dans toute leur évidence. L'essentiel, si j'ai bien compris, est de tourner autour du pot en évitant de se prendre un coup de cuillère. Et de ne pas oublier que cette démarche est purement scientifique.
Donc, comme vous êtes passionnés par tout ça, car tout ce qui est humain ne saurait vous être étranger, vous acceptez l'invitation. Et vous voilà parti à charger l'application en question. Vous l'envoyez à une sélection d'amis (c'est conseillé très vivement) et vous voyez alors le résultat obtenu par vos "friends" sur le dit test. Sauf que, justement, ça m'énerve d'abreuver mes amis avec des applications qui tiennent beaucoup du Kinder Surprise : c'est marrant cinq minutes, mais si on joue trop avec, c'est vite cassé. Ou casse-pied. Et puis le plan est tellement cousu de fil blanc que je mets un point d'honneur à ne pas satisfaire l'appétit des marketeurs facebookiens. Je me promets de faire un tri drastique dans mes applications, prochainement. Ça va charcler, c'est moi qui vous le dit…
Revenons sur mes "friends". On est en pleine théorie de cercles concentriques, chère à Pierre Desproges : d'abord les amis, puis les copains, ensuite les relations, et enfin les gens qu'on ne connaît pas. J'ai commencé avec une petite vingtaine d'amis proches, puis ajouté quelques copains d'amis, et quelques relations pour faire genre. C'est leur rôle, comme la gelée sur le foie gras ou les potiches dans les soirées. Vous pouvez être amis avec Jamel ou Cécile de Ménibus, c'est ultra-simple et ça fait toujours bien. C'est l'équivalent du "name dropping", technique classique d'autocélébration du journaliste tiers-mondain : il vous lâche négligemment dans la conversation qu'il a déjeuné avec l'homme ou la femme en vue du moment : Johnny Halliday, Benoît Poelvoorde ou Garry Kasparov. Il oublie simplement de vous préciser (charmante étourderie, on ne lui en tiendra pas rigueur) qu'il y avait également 20 confrères conviés avec lui autour de la même table.
Les "gens qu'on ne connaît pas" sont arrivés plus tard dans mon carnet d'adresses. Il faut dire que j'avais mis sur mon profil l'application "Are you interested by me". Car ne l'oublions pas, cette démarche est strictement scientifique. 15 jours après, le bilan est le suivant : les connaissances intéressantes se comptent sur les doigts de la main du capitaine Crochet quand il se cure le nez. Et il y a un bon paquet de "friends" que je ne connais toujours pas. Evidemment, j'ai dû subir les sarcasmes graveleux de mes amis du premier cercle : « Hin, hin, mettre des blondes péroxydées dans ton carnet d'adresses, c'est ça que tu appelles faire du networking ? ». Ouah, c'est bon : Leslie et Mandy veulent être mes amies, où est le problème ? Vous voyez le mal partout. D'ailleurs l'une d'elles fait très shérif adjoint de la banlieue de Melbourne. Ça peut être utile pour faire sauter les PV quand j'irais en Australie, non ? Les gens sont méchants, mais alors les amis…
Venons-en aux images de vos profils à vous tous, mes chers amis. Je crois l'avoir déjà dit : j'adore la photo en général, et les photos recherchées, en particulier. Le genre “fin de soirée avec peau blanchie au flash dans la figure, reflets verts dans les cheveux, ombres portées et yeux rouges", c'est pas mon truc. J'ai donc fait ce matin une interrogation surprise. Ah ! On fait moins les malins, maintenant ! Faites briller les photos ! Je ramasse les copies. Bon alors, voilà les notes de ceux qui se prétendent mes "friends". Myriam : 18. Modèle et prise de vue magnifiques. Alexandre : 17 : très smart, rien à dire. Vous irez loin. Ah bon, vous êtes mariés avec Myriam ? Eh bien, vous irez loin ensemble. Lisa : 16 : trop glamour, je craque. Sophie : 15. Vous faites de gros efforts pour changer régulièrement de photo, ça me plaît. Vous viendrez me voir à la fin du cours, mon petit. Natalie, Olivier, Mohamed, Dorine, Pauline, Susan, Nicolas, et j'en passe : 14. Le noir et blanc, c'est quand même top. Cécile (quoi de neuf, au fait ?) : 14 aussi. On vous sent pétulante et conviviale. Eric : 13. Un peu conceptuel, mais on sent un soupçon d'originalité. Catherine : 13 aussi. En progrès : une photo très nature, c'est mieux qu'un point d'interrogation, non ? Rémi : 9. Le noir et blanc, c'est bien, je l'ai déjà dit. Mais à condition d'allumer la minuterie quand on se prend en photo dans un parking souterrain. Benoît : 8. La prochaine fois que vous voudrez copier sur votre voisin Noureev, arrangez-vous pour que ça ne se voit pas.
Les autres, je n'ai pas eu le temps de les corriger. Contactez-moi directement, je vous donnerai votre note. C'est votre faute, aussi : à cause de vous, je passe trop de temps sur Facebook. Car, ne l'oublions pas, cette démarche est uniquement scientifique.