Le champ sur lequel je viens de garer ma voiture sent l'herbe fraîchement fauchée. Au loin, quelques chevaux, pour l'atmosphère champêtre du plateau de Saclay, où Thales et Danone entretiennent des unités de recherche. Une vague rumeur d'autoroute flotte dans l'air. Entre Palaiseau et Orsay, Polytechnique est bien loin de Paris, dans un cadre dépaysant à souhait pour se consacrer sans distraction à l'avenir des mines, des ponts, des chaussées, bref de la nation. L'Université d'été 2008 du Medef s'est installée sur le campus de nos amis. Je vais pouvoir vous raconter, j'ai gentiment été convié à y participer, avec 200 autres confrères et consœurs blogueurs. Des polytechniciens, j'en croise deux, un gars, une fille, en grand habit de cérémonie, pendant que je cherche en vain mon amphi. Ici, un espace détente où on se fait masser le dos, assis la tête sur le dossier d'une drôle de chaise. Là, des poufs à la Gaston Lagaffe, où se vautrent quelques participants, et où une jeune femme blonde mal avisée se fait littéralement absorber, au grand plaisir de chalands en mal de micro-événements. Et là, ça joue au baby-foot et au billard.
Devant l'entrée, un convoi officiel patiente, avec des motards qui font rugir les moteurs de leur BMW, fourragère à l'épaule, devant des 607 Peugeot blindées aux vitres fumées. Le beau linge qui s'apprête à partir s'attarde nonchalamment, englué dans un faisceau de micros, de caméras et d'appareils photos aux zooms prodigieux. Piétinant à distance, les badauds observent, fascinés. A l'intérieur, ambiance très masculine, genre salon du Bourget, avec des dizaines de managers en costards, hâlés et souriants, dont beaucoup ont tombé la cravate, car on est quand même à l'Université, faut pas déconner (si, justement). Je trouverai plus tard, sur le blog Voir en Grand
Polytechnique reste très convenu dans la nomination des amphis : Fresnel, Arago, Becquerel, Faure, Gay-Lussac : on se croirait au Panthéon ou dans les rues d'un lotissement d'une ville moyenne. Pas d'amphi Cohn-Bendit ou Manu Larcenet. Il faut se repérer parmi nos amis scientifiques ou conventionnels. Après moult hésitations, je tombe enfin sur l'amphi Carnot. C'est le mot, d'ailleurs, je tombe : les blogueurs sont à la cave, ou au sous-sol, je ne sais pas trop. Une vingtaine de personnes, équipées comme des croiseurs, avec du matos de concours : des PC ou des Macs rutilants, constellés d'étiquettes, des grands écrans qui obéissent au doigt et à l'oeil, des clés super-gigas, des Dongles de folie, des iphone à tomber... On s'envoie des MP4, on se connecte sur Flickr, on choisit en direct des images de Matthieu Ricard ou du roi Abdallah de Jordanie, arrivé en grand équipage et accueilli par une Laurence Parisot pimpante et estivale. Pour parodier une pub entendue en boucle à la radio, en venant, les blogueurs de l'Université du Medef, question moyen de publication et de diffusion autonome, « C'est du lourd ». Leurs rangs sont, à l'instant où j'écris, encore peu clairsemés, mais ça se remplit.
Le programme des journées est légèrement stratosphérique. "L'innovation, de la science à la chance", "In nano veritas" (tiens, c'est bizarre, j'aurais dit "vino", moi...), "Le management comme pédagogie pour un autre monde"... Et aussi "Dieu pour point d'appui et la prière pour levier". Vendredi 29 août, il y a un débat sur les réseaux sociaux, où on risque d'enfiler les perles, comme d'habitude. J'irai quand même y faire un tour. Je vois tous les jours le comportement des entreprises, grandes et petites, qui brident sévèrement leur éclosion, y voyant un dangereux dérivatif pour leurs salariés, déjà si rétifs au travail à la papa. Impossible de se connecter aux blogs ou aux réseaux sociaux, car ce n'est pas perçu comme productif. D'autres l'ont déjà dit, je ne fais que le répéter : le web 2.0 donne de l'autonomie, change les façons de travailler, de produire de l'information, de la partager, facilite les échanges, crée de nouvelles façons de travailler. Mais nos entrepreneurs sont pour le moment un peu dur d'oreille. Sans parler des réticences morales, qu'ils ne sont pas les seuls à émettre. A chaque fois que je fais des conférences ou des séminaires sur le sujet dans les entreprises, les managers tombent des nues et sont prêts à se convertir. Je ne sais pas qui leur a expliqué ce qu'était le web 2.0. Peut-être leur DSI. Mais visiblement le message n'est pas bien passé, c'est le moins qu'on puisse dire.
Sinon, le Medef, c'est l'entreprise dans tous ses états. Mais l'entreprise à la française. Des banques. Le nucléaire. Les transports. Vinci, Arianespace, la SNCF, Areva, Total... OK, Poweo et Viadéo (entre autres) sont aussi dans le bateau. Mais pas une entreprise française qui se soit créée récemment, et qui soit devenue un succès mondial, et dans un secteur de pointe. D'ailleurs, il n'y en a pas. Pour Google et autres références, et les entreprises d'internet d'aujourd'hui et de demain, on repassera. Je suis allé récemment au Brésil. D'un côté, Sao Paulo, avec les industries de pointes, les services, l'informatique, et même Orkut, un site communautaire de Google adopté par les Brésiliens et qui éclipse Facebook au Brésil. De l'autre, Rio de Janeiro, la nonchalante, sa douceur de vivre, ses paysages de rêves, ses plages de sable fin, sa caïpirinha à gogo et le meilleur café du monde. Et Petrobras (groupe pétrolier) et Vale (groupe minier) qui soutiennent à bout de bras l'économie de la ville. Toute proportion gardée, l'entreprise France, c'est un peu Rio, en ce moment, face au Sao Paulo mondial, autrement plus dynamique.