Je suis un fana des savoirs inutiles. Enfin, des choses pas vraiment utiles, pas immédiatement, pas maintenant, dans une autre vie. Le genre de connaissance qu'on acquiert un jour, qu'on est content de posséder, et qui ne ressert jamais. Ou pratiquement jamais. Chaque fois que je vois un Vélib la selle de travers et la chaîne qui pendouille lamentablement par terre, je me souviens que je sais réparer une chaîne de vélo cassée. Un jour, j'étais gamin, j'avais pris le vélo de mon père, sans son autorisation (il en fallait une, c'était le Moyen-Âge…). Et la chaîne m'a claqué dans les doigts, ou plutôt entre les pieds. J'ai ramené le biclou tout penaud, en marchant à côté. Et j'ai attendu le retour du paternel, dans l'état d'accablement de celui qui se sait promis à une rouste méritée. Mais au lieu de ça, j'ai eu droit à un cours de mécanique appliquée dont je me souviens encore.
Et j'ai compris pourquoi mon père avait été magnanime. Il avait lui-même cassé la chaîne du vélo de son père, étant gosse, et mon grand-père lui avait expliqué comment se sortir de ce mauvais pas. J'ai donc pris ce jour-là une leçon qui se transmettait de père en fils depuis quelques générations. « Le maillon cassé, tu l'enlèves comme ça : tu repousses le rivet avec un pointeau en mettant un boulon juste en dessous…».
Bon, je ne suis pas sûr que ça soit très utile maintenant : sur les forums sur Internet, on conseille un dérive-chaîne qui a l'air autrement plus efficace que le pointeau et le boulon de feu mon père. Et puis, aujourd'hui, sur un VTT Spitfire avec cadre alu/carbone et dérailleur Shimano, il faut quasiment un guidage au laser pour monter la selle… Résultat des courses, si j'ose dire, je sais réparer une chaîne en utilisant une technique tombée en désuétude.
La liste de mes savoirs inutiles voire dérisoires est longue. Je sais que Martine Carol a été mariée quatre fois et enterrée deux fois. Tout le monde s'en tape, et je suis poli. Je sais distinguer les vulgaires galets de ceux avec des cristaux à l'intérieur, sur la plage d'Etretat. C'est hyper-pointu comme connaissance, mais honnêtement, j'ose à peine vous en parler. Il fut un temps, je savais redémarrer un Mac planté avec un trombone. Ça fait à peine sourire le premier geek venu. Je sais aussi que Zouc s'appelle en réalité Isabelle Von Allmen, et que Van Allmen, ça signifie « des pâturages alpestres », ses ancêtres ayant visiblement habité les montagnes toutes proches de Berne. Si j'ajoute que Berne vient d'un mot germanique qui signifie "ours", comme Berlin, l'assistance réprime quelques bâillements à peine dissimulés. Car tout ça, ça ne sert strictement à rien. A la rigueur, à éclairer de temps en temps une conversation, voire à faire le malin. Ou pire, à pontifier. Mais dans la vie courante actuelle, là, maintenant…
En revanche, je suis très fier de mes connaissances sur les mi-bas. Quand on parle de cet avatar féminin de la chaussette, les réactions sont d'un prévisible… Les femmes trouvent que c'est pratique. Et les hommes que c'est un tue-l'amour abominable. A ce propos, je me rappelle d'une amie qui disait que les dim-up, c'est pas mal, mais l'ennui, c'est qu'il faut se déshabiller au white-spirit. Où va se nicher l'esprit français, par moment... Je m'égare. Donc, à part ses qualités calorifiques, sa sensualité débordante et son esthétique indéniable qui rallient tous les suffrages, vous conviendrez qu'un mi-bas, ça ne sert à rien. Eh bien si ! D'abord, sous réserve qu'il soit propre et non percé, c'est un filtre très efficace pour faire de la gelée de pommes. Je vois déjà des sourires se dessiner en pointillés sur vos lèvres poupines, mais je ne plaisante absolument pas. J'ai testé ça récemment, ça marche du tonnerre. Ensuite, on peut s'en servir pour lustrer les meubles : passez une fine couche de baume des antiquaires sur le bahut de mémé, frottez avec un chiffon doux (le bahut, pas mémé) et finissez au mi-bas. Vous gagnerez l'estime de vos contemporains et la reconnaissance de l'aïeule en question.
J'ai gardé le meilleur pour la fin. J'ai appris ce dernier truc d'un garagiste chez qui j'emmenais ma voiture, au temps des cerises. Un gars avec les mains pleines de cambouis, qui bossait dans un garage ouvert à tous les vents. En hiver, ça gelait à pierre fendre dans son atelier. « Quand y fait froid, les outils, c'est des rasoirs », qu'y disait, Mimile. Bref, un jour, devant ma courroie d'alternateur défunte, il me confia un secret que je garderai jusqu'à mon lit de mort. Bon OK, je vous le dit maintenant. Imaginez que vous rouliez en voiture, à 50 km du premier garage, et que votre courroie d'alternateur claque. Plus de clim', ni de direction assistée, plus de phares non plus… Normal, le moteur n'entraîne plus l'alternateur, qui ne recharge plus la batterie. Du coup, v'là le ventilateur qui éteint les bougies, toussa... Crotte alors ! Peugeot assistance étant aux abonnés absents et votre portable déchargé dont une zone où, de toutes façons, il n'y a pas de réseau, il va falloir faire preuve d'ingéniosité. Heureusement, il y a Mimile et son réflexe qui sauve. Vous tortillez un collant ou des mi-bas attachés entre eux, vous le passez à la place de la courroie, vous serrez fort, vous faites un nœud. Et hop, ça repart. Je n'ai jamais testé. Si ça se trouve, c'est une bonne blague du mécano. Mais maintenant, j'ai ça dans la tête à la rubrique "savoirs inutiles". Reste plus qu'à attendre que l'occasion se présente pour vérifier la validité de cette recette de bonne femme. Ça donnera un peu de piment au prochain coup de la panne.
Et vous, à quoi vous sert un mi-bas ?
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