C’est comme le pot-au-feu : c’est meilleur à chaque fois. Vous la connaissez sûrement, mais on ne s'en lasse pas. C’est l’histoire d’un patron de zoo qui a besoin de renforcer son cheptel d’animaux exotiques. Il prend donc sa plus belle plume (en l’occurrence, il lance le Word 97 du vieux PC pourri qui trône sur son bureau fatigué). Il écrit à un importateur -agréé, je ne veux pas d’histoire avec le WWF- la phrase suivante : «Bonjour Monsieur, je souhaiterais acquérir deux chacals…». A ce stade-là, il trouve le pluriel un peu bizarre, efface la phrase qu’il vient de taper, et en écrit une nouvelle : «Bonjour Monsieur, je souhaiterais acquérir deux chacaux…». Et puis non, décidément, ni l’un ni l’autre ne passe (le correcteur de mon Word est plus récent: il m’en souligne un en rouge, je ne vous dirai pas lequel). Notre homme a soudain une inspiration géniale : «Bonjour, monsieur. Je souhaiterais acquérir un chacal. PS : pendant que vous y êtes, mettez m’en deux…»
Bon, je me remets devant mon clavier, après un quart d’heure plié en quatre sous mon bureau. Je suis toujours très bon public avec mes propres âneries. Redevenons sérieux, car cette histoire a une morale de haute volée : il ne faut jamais se lancer dans des phrases dont on n’a pas les moyens. Je tiens cette morale de Luis Rego lui-même. Nous sommes aujourd’hui environnés de véritables athlètes complets du dérapage verbal, qui n’ont même pas la présence d’esprit de notre valeureux directeur de zoo. Regardez autour de vous pour vous en convaincre. Etant moi-même capable d’en sortir, volontairement ou non, j’ai une certaine indulgence, en général, sauf dans quelques cas bien précis. Notamment quand mon interlocuteur ou interlocutrice veut absolument m’en mettre plein la vue avec des mots ou des tournures soi-disant châtiées. Quand la personne en question se prend les pieds dans le dico et s’étale de tout son long comme le bras, je suis évidemment moins charitable.
J’ai été plusieurs fois confronté à des cuistres qui partaient dans de telles acrobaties sans filet, avec une catastrophe langagière hilarante à la clé. Comme un jour, un CRS, qui m’avait pris en stop, au temps des cerises. On tapait la causette, tout ça. Notez que je n’ai nullement évoqué son job. Sous des dehors parfois grossiers, je suis quelqu’un de très respectueux. Ainsi, j’aime beaucoup les CRS qui s'arrêtent et me font monter dans leur voiture, alors que je suis planté au bord de la route depuis une demi-journée, avachi sur mon sac à dos, à 50 bornes du premier patelin décent. Cependant, mu par un honnête souci de défense de sa corporation injustement traînée dans la boue, le gars en question a essayé de justifier l’anodine occupation qui le conduisait à passer des après-midis entiers dans des cars transpirant la sueur et l’amitié virile, au lieu de faire le cacou comme moi avec mon Mac Book pro et une Leffe à la terrasse du Café Etienne Marcel. Mais au moment de dénoncer les préjugés du bon peuple contre sa profession respectable, il est soudain parti en vrille linguistique avec double salto piqué : «Oui, je sais, les gens ont des préjudices contre les CRS». On aurait dit du Coluche, live. 50 bornes à se mordre les lèvres pour s’empêcher de ricaner, et éviter de finir la route à pinces, je vous garantis que c’est long.
Dans le même ordre d’idées, je me suis déjà moqué ici des pubs qui fleurissent sur Facebook. Sachant qu’on peut les faire soi-même, c’est donc un véritable festival de fautes d’orthographe. Là par exemple, un nième site de rencontre essaie de nous appâter. Ça démarre fort : «A deux, c’est mieux». Pas mal, dis donc. Paulo, tu sais que ça rime, en plus, ce que tu as trouvé ? Vas-y, fais briller la suite : «Fatigué des rendez vous ennuyeux…». Bon, notre ami(e) aurait pu s’arrêter là et enchaîner direct sur «Essayez Be2 pour l amour (même la ponctuation souffre…) plus chaud, plus de plaisir, et de fantaisies». Eh ben non, il a fallu qu’il ou elle ramène sa science et trois mots de plus. Et évidemment, c’était fatal, il y a un pluriel qui a sauté, dans l’histoire. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se brûle et fait déborder le vase…
Illustrations : Wikipedia