Voilà, j’ai décidé de prendre une douche. Une folie qui m’a pris le matin en me levant. Le meilleur moment de la journée, en principe, avant le café qui suit et les tartines beurrées qui l’accompagnent. L’eau souveraine et maternelle va me masser pendant quelques minutes. Mon cerveau va se mettre à vagabonder. Je vais prendre une posture régressive, je vais penser à des choses étranges, chanter des chansons bizarres… J’aurais aussi quelques idées fulgurantes, dont je me souviens une fois sur 10...
Mais il y a dans cette salle de bain qui n’est pas la mienne quelque chose de pas très engageant. D’abord, le couloir qui mène à la pièce réservée aux ablutions est sombre, interminable et truffé de petits vents coulis aussi lâches que glacés. Les papiers peints sont horribles et humides à la fois. Le parquet hors d’âge alterne avec un carrelage froid, au point qu’on dirait que la plante des pieds nus va y rester collée.
Isolée dans un coin, à cinq mètres du radiateur éteint, la douche est tapie au dessus de la baignoire sabot. Elle ressemble à un robot malfaisant, avec ses robinets montés à l’envers (chaud=froid, plus=moins : il faut le savoir. Au début, ça surprend…) et ses enfilades de tuyaux coudés. Jugeant qu’elle n’en avait pas fait assez pour se rendre antipathique, elle s’est entourée d’un rideau pare-douche en plastique, colonisé vers le bas par une moisissure grise. Ce rideau est doté d’une propriété curieuse : pour bien vous rappeler que la pièce est gelée, il vous enveloppe instantanément tout le corps dès qu’on le frôle, comme une ventouse immonde, achevant de vous glacer définitivement.
Ne reste plus qu’à mettre en marche cette plomberie antédiluvienne. En fait de déluge, j’ai d’abord droit à une sorte de projection de glace pilée, accompagnée d’un puissant bruit de canalisation qui doit logiquement déclencher la balise de détresse de Michel Desjoyeaux... Quand enfin je réussis à dompter la bête malfaisante, trempé et grelottant, je ne me sens pas enveloppé dans une chaleur veloutée et réparatrice qui ravigoterait mes os roidis par le matelas en coton hors d’âge ou qui raffermirait mes chairs fripées par un sommeil trop court.
Nenni : voilà qu’elle se décide à son tour à jouer à l’unisson de ses confrères de salle de bain ligués contre moi, en y ajoutant sa petite touche de torture personnelle. Un minuscule filet d’eau brûlante coule de façon intermittente de la pomme de douche entartrée, et ne le fait qu’en échange d’une brûlure de mon dos qui contraste singulièrement avec le brouillard givrant ambiant. Si on veut plus de pression, il faut accepter de recevoir une trombe d’eau froide… J’ai le choix entre mourir ébouillanté ou congelé. J’ébouillante donc rapidement une parcelle après l’autre, en réprimant un hurlement de douleur. Ma peau est lacérée de stries rouge écrevisse pendant que le reste tourne au bleu de prusse.
Bon, il est temps que je me réveille, ce cauchemar n’a que trop duré. A demi ensommeillé, la bouche pâteuse, je me souviens d’un autre épisode frigorifiant : l’Armée. J’ai juste fait quinze jours à Hourtin dans la Marine (je ne vous raconte pas la boule à zéro…), avant d’être renvoyé dans les foyers. Eh bien les préposés aux douches ne trouvaient rien de mieux que de couper l’eau (froide) au bout de deux minutes, alors qu’on était encore plein de savon et claquant des dents. A croire qu’il en avait un qui nous surveillait discrètement afin de donner au meilleur moment le signal de cette fine plaisanterie de garçon de bain.
Mes pensées du matin me ramène une autre situation horrible : les piscines couvertes en hiver. Je ne suis pas du tout frileux («Ouais, c'est ça»). Mais là, il suffit du moindre courant d’air glacé qui s’échappe sous une porte, ou d’une eau soit disant à 22° qui me saisit (mauvais sens du terme : on devrait dire qui me repousse) quand j’y trempe un demi orteil, pour que j’aille me rhabiller séance tenante, sous les ricanements des amis ou de la famille.
Je sais ce qu’on va me dire : «Mon p’tit gars, ce sont des émotions d’occidental qui ne manque de rien. Tu nous fais un cake pour une douche foirée, que d’autres aimeraient pourtant bien avoir…». Ou même «Quelle chochotte ! Je sens que je vais écraser une larme…». Pourtant, je me suis lavé en plein hiver dans les tourbillons de l’Urubamba, rivière tumultueuse qui gronde au pied du Macchu Picchu, et je me demande encore s’il ne charriait pas des glaçons. Mais ça ne m’a fait ni chaud ni froid, si je puis dire. Je me suis aussi baigné en Ecosse dans un trou d’eau où même le Monstre du Loch Ness aurait attrapé une pneumonie. Et j’en suis sorti sans trop de casse.
Je ne sais pas : ce rêve doit être un concentré de mes détestations.
Illustrations : JéreM, Jaquet, Parc Aquatique de Saint-Malo