L’histoire est pleine de gens qui ont tout fait pour éviter des catastrophes, qui se sont produites quand même dans des proportions qu’ils n’auraient même pas imaginées. Le cas d’Henri VIII est une illustration trop belle pour ne pas figurer dans le haut du classement de la rubrique de ce blog «C’est trop con».
Remontons dans le temps. Il y a près de 500 ans, naquit un prince d’Ecosse, James (Jacques en français), 5e du nom. En gaélique écossais, on l’appelait Seumas V. Le prince était fils d’un Stuart (francisation éhontée de Stewart), par son père James IV, et d’une Tudor (francisation approximative de «Are you sleeping ?») par sa mère, Marguerite, la sœur aînée d’Henri VIII. Les deux branches royales s’étaient acoquinées pour tenter de réaliser l’union des deux royaumes, perpétuellement en bisbille, depuis des lustres.
James V n'avait qu'un an lorsque son père fut brutalement arraché à l’affection des siens, haché menu à la bataille de Flodden Field, où les hallebardiers anglais prirent le dessus sur les piquiers écossais. Un vrai carnage : 10 000 écossais passèrent l’arme à gauche, contre seulement 1500 anglais. Difficile de demander à un nourrisson de régner : on confia la régence du royaume écossais à sa mère, Marguerite Tudor, jusqu'en 1524, puis à Jean d'Albany. Quand James eut 13 ans, sa mère s’étant remarié avec Archibald Douglas, ce dernier cadenassa en quatre murs le petit prince, un dimanche matin, en se disant que ça serait plus lucratif de régner à sa place, finalement, tout bien réfléchi.
«Nice try, Archie», pensa James V, qui réussit trois ans plus tard à s’évader et à se débarrasser de son encombrant beau-père. Il se maria à Paris le 1er janvier 1537 avec une des deux filles de François 1er, Madeleine de Valois, petite nature souffreteuse âgée de 16 ans, qui calancha à peine six mois plus tard de la tuberculose. Le 12 juin de l'année suivante, il épousa, à Saint Andrews cette fois, Marie de Guise, une autre française à la santé solide car élevée au grain et au grand air de Bar-le-Duc.
Cet attrait pour les femmes françaises masquait une raison d’état : la recherche du soutien français face à la menace anglaise, par la relance du traité d’alliance (“Auld Alliance”) entre la France, la Norvège et l’Ecosse. Ce traité stipulait que si un des Etats alliés était envahi par l’Angleterre, l’autre attaquerait la perfide Albion. La Norvège eut autant de considération pour ce chiffon de papier que pour son premier drakkar. Seuls les Frenchies et les Scots se portèrent mutuelle assistance, au gré des tumultueuses relations franco-anglaises. En contrepartie, l’alliance garantissait la double citoyenneté. Tous les Écossais furent reconnus comme des citoyens français jusqu’en 1903, quand le gouvernement français abolit ce traité sympathique qui aurait fait sangloter Brice Hortefeux.
Ce roi roux et au visage allongé, catholique à la ferveur proportionnelle aux confortables revenus tirés des églises, aimait les rapports directs avec son peuple plutôt qu’avec la noblesse locale. Face à lui, le roi d’Angleterre de l’époque était le tonitruant Henri VIII. Cet adepte de l’humour répétitif avait quatre obsessions connues :
- avoir un héritier mâle (obsession n°1)
- se marier et se remarier jusqu’à ce qu’il ait un héritier mâle (obsession n°2)
En vertu de quoi, il convola six fois. On peut classer schématiquement ses épouses en trois groupes, conséquences des deux obsessions précédentes :
- celles qui furent répudiées (Catherine d’Aragon et Anne de Clèves)
- celles qui finirent sur le billot (Anne Boleyn et Catherine Howard)
- celles qui moururent en couches (Jeanne Seymour et Catherine Parr).
Henri VIII avait deux autres lubies moins sanglantes pour les femmes : en vertu d’une vague ascendance capétienne, il revendiquait inlassablement la couronne de France (obsession n°3). Enfin, il lorgnait aussi sur celle d’Ecosse (obsession n°4). En s’apprêtant à envahir une fois de plus la France (obsession n°3), il déclencha les hostilités anglo-écossaises. James V, conscient des forces en présence, fit semblant de secourir son cousin de l’Hexagone, initiant des mouvements de troupes aussi bruyants qu’homéopathiques.
Mais Henri VIII cherchait vraiment la castagne. Non seulement, il voulut le forcer à se marier avec sa fille Marie, afin de réunir les deux trônes (obsession n°4). Mais en plus, quand il rompit avec l'Église catholique (qui ne voulait pas annuler son mariage avec Catherine d’Aragon parce que pas d’héritier mâle, patin couffin, obsession n°1 et 2), il somma son neveu d’en faire autant. Seumas V se rebella et agita ses petits bras musclés. Il envoya promener les émissaires de son oncle, et poussa l’outrecuidance jusqu’à refuser de se rendre à une audience du roi anglais à York. Furieux, Henri VIII, déjà obèse mais toujours vindicatif, leva le petit doigt et une armée pour châtier l'imprudent impudent. Un temps impressionné, mais voyant la soldatesque anglaise ravager son pays, James V, exaspéré, chargea son sénéchal Robert Maxwell de mobiliser les nobliaux du cru, au lieu de passer son temps à ravauder son “feileadh mor” (grand kilt de l’époque).
Le 24 novembre 1542, 15 000 Écossais moyennement motivés marchèrent vers le sud et les Anglais. Robert Maxwell parada à la tête des troupes tant que l’ennemi ne se montra pas. Puis il tomba curieusement malade à l’approche du grand jour. C’est près d’un patelin frontalier nommé Longtown, à Solway Moss, que l’armée écossaise se colleta avec le général anglais Thomas Wharton et ses 3000 soudards, à peine dessaoulés de leurs exactions des jours précédents. Maxwell en arrêt de travail, c’est un certain Oliver Sinclair de Pitcairns qui s'autoproclama commandant en chef des contingents des Gaëls. Mais les autres officiers écossais lui firent comprendre à demi-mot, geste malpoli à l’appui, qu’ils n’avaient nullement l’intention d’obéir à ses ordres. Le combat s'engagea donc, côté écossais, dans un vide stratégique sidérant.
L’affaire fut vite pliée : à peine engagés dans le combat, et bien qu’à 5 contre 1, les Ecossais furent manœuvrés comme des gamins par Wharton et rapidement pris de panique suite à des rumeurs d’arrivée de renforts ennemis en surnombre. Leur seul fait de gloire de la journée fut le record de vitesse dans la traversée de la rivière Esk, franchie dans une cohue indescriptible. Au total, quelques escarmouches individuelles, à peine quelques morts (surtout des soldats noyés dans l’Esk gonflé par les eaux hivernales), et 1200 prisonniers côté écossais. Certains clans récemment soumis (les Armstrong, Homes, Scott et consorts) livrèrent même quelques nobles écossais aux Anglais.
La bataille ressembla plus à une algarade entre people éméchés devant le Fouquet's ou à une scène coupée dans le bonus du DVD Kaamelott. Ils auraient réglé ça à coups de polochons, cela aurait été aussi sanglant. Et James V, dit Jacques V, dit Seumas V, qu’est-ce qu’il glandait, pendant ce temps-là, au fait ? Il n’assista pas au combat, lui non plus. Humilié par la défaite, il s’était mit au lit avec 39° de fièvre, dans son palais de Falkland. Ce n’était pas de la simulation, car deux semaines plus tard, il passait de vie à trépas à 30 ans à peine, victime du choléra, laissant sa fille, Marie Stuart, née tout juste 6 jours avant.
Pour Henri VIII, le problème de l’union avec l’Ecosse (obsession n°4) était enfin réglé. On oublia bien vite James V, ses cheveux roux, son règne sans relief et surtout la bataille piteuse qui en marqua la fin. Enfin, pas tout à fait. La légende colporta ses bonnes relations avec le petit peuple. Une ballade (“the Jolly Beggar”) raconte ainsi qu’il se déguisait de temps en temps en mendiant, toquait aux portes des fermes, s’y installait pour la nuit et séduisait la fille des lieux, qui le reconnaissait au petit matin.
Mais surtout, personne n’a oublié sa fille, Marie Stuart. Une sorte de bombe à retardement laissé par James V, au sens propre comme au sens figuré. Car outre sa beauté fatale, Marie Stuart fut compromise dans le décès suspect de son deuxième époux, découvert étranglé dans le jardin de sa maison soufflée par l’explosion d’un baril de poudre. Les hommes de main avaient visiblement oublié de se coordonner... Petite fille de Marguerite Tudor, Marie Stuart s’estimera en outre fondée à réclamer le trône anglais quand Henri VIII aura enfin succombé aux excès de consommation de plats en sauce. Et elle asticotera pour un oui ou pour un non la reine Elisabeth 1er, au point que celle-ci finira par l’envoyer sur le billot.
Quant à cette barrique d’Henri VIII, son obsession monomaniaque à exécuter ses épouses qui ne lui donnaient pas de garçons (obsession n°1 et 2, bis) n’aura servi strictement à rien. Son unique descendant mâle ayant survécu aux maladies infantiles, Edouard VI, périt de la tuberculose l’année de ses seize ans. Il laissa ainsi, involontairement, le champ libre d’abord à Jeanne Grey (Lady Jane), qui régna neuf jours avant d’être exécutée par la reine suivante, Marie 1er (la fameuse “Bloody Mary”), qui régna 5 ans, et enfin à Elisabeth 1er, qui s’incrusta 45 ans d’affilée sur le trône ! Trois reines à la suite, après avoir tout fait pour les écarter de la succession... Et pour couronner le tout, si je puis dire, le premier homme à remonter sur le trône après cette longue parenthèse féminine fut le petit fils de James V, James VI, fils de Marie Stuart. Devenu si gras à la fin de son règne, qu'il fallait l'aider pour monter les escaliers, Henri VIII aurait fait une jaunisse de s'être fait enfler de la sorte, s'il n'avait pas déjà été atteint du diabète.
Pour lire les autres épisodes de cette série, consulter la rubrique «C’est trop con».
Illustrations : Simon Ledinghamn Jan Fialkowski, Wikipedia.