Perdu et reperdu. A une certaine époque, j’ai l’impression d’avoir passé plus de temps sans mon permis de conduire qu’avec… Il a connu des douzaines de mains étrangères. Il est passé dans dix fois plus de doigts boudinés et crasseux, avant de me revenir toujours, en lambeaux progressifs. Je l’ai perdu à Amsterdam, on me l’a volé dans le métro, je l’ai égaré deux ans dans mes affaires, il a disparu mystérieusement de mon portefeuille. Il a même fini dans une mare quand j’ai dérapé sur le verglas avec ma voiture. A chaque fois, il est réapparu, fourbu, élimé, taché, déchiré, increvable comme une bête fidèle.
Un jour, on me l’a redonné au commissariat, prévenu par la police hollandaise. Il a dû voyager dans une sorte de valise diplomatique. Une autre fois, c’est un ami qui l’a retrouvé au fond de son panier à linge, dans la poche du jean que j’avais oublié chez lui. Une autre fois encore, c’est par la poste qu’il est revenu, dans un courrier même pas affranchi : le gars qui me l’avait chouravé l’a mis dans une enveloppe avec mon adresse, direct dans la boîte, avec au moins douze fautes à mon nom. Je l’ai reçu six mois après ! Et le garagiste qui a repêché ma voiture dans l’eau m’a téléphoné pour me dire qu’il l’avait retrouvé, trempé sous un siège. Attendant les secours. Confiant, probablement.
Quand je regarde maintenant cette relique, du moins ce qu’il en reste, je finis par me demander s’il est vraiment à moi, tant il a eu d’autres propriétaires. Il a toujours les tâches brunes apparues après son séjour dans l’eau. Je le sors à chaque fois chez les loueurs de voiture, ce qui me vaut un succès d’estime sans cesse renouvelé, quand, sapé comme un milord dans mon costard Thierry Mugler, lunettes de soleil négligemment relevées dans les cheveux, j’exhibe d’un même geste ma carte Visa Gold et ce débris malodorant, repoussant, délabré, scotché de tous les côtés, sale comme un peigne, avec une photo de moi avec des lunettes rondes et les cheveux longs en boule à la Jimmy Hendrix. Et toujours ma signature de gamin. Grâce à lui, les contrôles de police de la route durent plus longtemps avec moi.
Avec le temps, il est devenu une sorte de papyrus rare, un incunable chargé d’histoire que se disputeront mes héritiers chez le notaire, vexés d’avoir respiré tout le long du chemin les gaz d’échappement de mon corbillard et furieux de ne trouver que des dettes et des tasses ébréchées en guise d’héritage. Au rythme où vont les choses, comme il se fragmente chaque jour un peu plus, il devrait y avoir un petit bout pour chacun. Qu’ils ne viennent pas se plaindre : j’aurais pensé à tout le monde.
Un jour, on me l’a redonné au commissariat, prévenu par la police hollandaise. Il a dû voyager dans une sorte de valise diplomatique. Une autre fois, c’est un ami qui l’a retrouvé au fond de son panier à linge, dans la poche du jean que j’avais oublié chez lui. Une autre fois encore, c’est par la poste qu’il est revenu, dans un courrier même pas affranchi : le gars qui me l’avait chouravé l’a mis dans une enveloppe avec mon adresse, direct dans la boîte, avec au moins douze fautes à mon nom. Je l’ai reçu six mois après ! Et le garagiste qui a repêché ma voiture dans l’eau m’a téléphoné pour me dire qu’il l’avait retrouvé, trempé sous un siège. Attendant les secours. Confiant, probablement.
Quand je regarde maintenant cette relique, du moins ce qu’il en reste, je finis par me demander s’il est vraiment à moi, tant il a eu d’autres propriétaires. Il a toujours les tâches brunes apparues après son séjour dans l’eau. Je le sors à chaque fois chez les loueurs de voiture, ce qui me vaut un succès d’estime sans cesse renouvelé, quand, sapé comme un milord dans mon costard Thierry Mugler, lunettes de soleil négligemment relevées dans les cheveux, j’exhibe d’un même geste ma carte Visa Gold et ce débris malodorant, repoussant, délabré, scotché de tous les côtés, sale comme un peigne, avec une photo de moi avec des lunettes rondes et les cheveux longs en boule à la Jimmy Hendrix. Et toujours ma signature de gamin. Grâce à lui, les contrôles de police de la route durent plus longtemps avec moi.
Avec le temps, il est devenu une sorte de papyrus rare, un incunable chargé d’histoire que se disputeront mes héritiers chez le notaire, vexés d’avoir respiré tout le long du chemin les gaz d’échappement de mon corbillard et furieux de ne trouver que des dettes et des tasses ébréchées en guise d’héritage. Au rythme où vont les choses, comme il se fragmente chaque jour un peu plus, il devrait y avoir un petit bout pour chacun. Qu’ils ne viennent pas se plaindre : j’aurais pensé à tout le monde.