Repenti, quel drôle de métier ! Depuis que j'ai entendu cette chanson de Renan Luce («Des spaghettis, d'la sauce tomate, dans la banlieue nord de Dijon...»), je me pose des tas de questions. C'est sûr que c'est un moyen de préserver sa vie, dans certaines circonstances. Et de gagner éventuellement quelque chose (de l'argent, la liberté...). Mais en balançant les copains. Et ça, c'est le côté le moins sympathique de cette activité, il ne faut pas se voiler la face. Au risque de passer pour un coyote à foie jaune, ce qui vous enlève la considération de votre concierge, dont la grand-mère ne s'est pourtant pas gênée pour dénoncer ses voisins juifs pendant l'Occupation.
Moi, d'abord je dénoncerai qui ? Et pour gagner quoi donc ? Reste à savoir s'il m'est arrivé de le faire, et dans quelle conditions. Je me donc suis livré à un petit exercice introspectif, pour voir de quoi je suis un repenti, ce que j'ai dénoncé pour l'occasion, et ce que ça m'a rapporté. Si c'est le cas.
Sportif repenti. Sur un coup de tête, j'ai arrêté toute activité dans ce domaine. Plus de rubgy, de hand-ball, de jogging, de tennis... De la marche beaucoup. Du vélo quand je peux. Du volley de plage s'il y a un mojito après le match. Et encore : maintenant que je connais la recette, je me fatigue plus à les faire qu'à jouer pour les mériter...
Ce que j'ai dénoncé : Les commentateurs sportifs et le dopage. Les questions d'après match, où l'interviewé qui a grimpé cinq cols dans la journée peut se reposer en déroulant les platitudes du style : «Je suis très gagné d'avoir content et j'espère que je ferais fois, la prochaine mieux». Mais Nelson Montfort et Jean-Michel Larqué sont toujours en liberté. Côté dopage, j'ai joué de malchance. Je me suis trompé de prénom et j'ai dénoncé Louis Armstrong au FBI. Depuis, je ne suis pas le bienvenu chez les jazzmen, noirs et américains. Ils sont susceptibles, ces gens-là... Mais ça fait beaucoup de monde à éviter.
Ce que ça m'a rapporté. Maintenant que j'ai arrêté, j'ai pris quelques kilos, certes, mais pas tant que ça. Et le culte de la forme et du corps huileux, épilé et musculeux me laisse toujours de glace. Ted 1, Sport 0.
Spéléologue repenti. Quand j'étais moniteur de camp d'ados, j'ai été initié à cette discipline caverneuse dans les grottes du Larzac. Lampe au tungstène sur le casque, comme un mineur de fond bolivien, et tenue d'égoutier top seyante, on est passé dans des tunnels étroits comme un jean en solde chez H&M. Le passage le plus dur a été un siphon : à plat ventre avec le dos qui frotte sur le haut de la minuscule galerie, vous descendez dans un trou, vous passez sous l'eau, pour ressortir grelottant quelques mètres plus loin, tout ça dans le noir le plus complet. Pas moyen de faire demi-tour et la sensation d'être coincé de partout. Je me demande encore comment j'ai fait pour ne pas paniquer.
Ce que j'ai dénoncé : l'étroitesse des boyaux. Depuis, je suis fâché avec tous les charcutiers et les spéléologues de France et de Navarre. Les charcutiers sont nombreux, présents à chaque coin de rue et ils ont des couteaux effrayants. Les spéléos sont moins dangereux et moins voyants : on a plus de chance de les croiser à la cave qu'au Virgin.
Ce que ça m'a rapporté. Je suis encore moins claustrophobe qu'avant. J'évite cependant d'aller plus de six pieds sous terre s'il n'y a a pas au moins trois mètres de plafond.
Plongeur repenti. A une certaine époque, excité par les aventures du Commandant Cousteau et de l'immarcescible Falco, j'ai passé mon brevet CMAS en deux temps, trois mouvements. J'ai joué au Grand Bleu sur des épaves turques, en mer Rouge, en Guadeloupe, sur les Iles Lavezzi... j'ai croisé des barracudas accoudés au bar, des poulpes prêts à poser des ventouses, des raies promises au beurre blanc, des requins nourrices en train de biberonner, un Napoléon avec son fils Léon...
Ce que j'ai dénoncé. Cousteau et Falco, qui ont fini par me fatiguer avec leur monde du silence en Technicolor et leur Terre vue sous la mer, façon Arthus-Bertrand palmipède. Je suis désormais interdit de séjour à plus de 5 mètres sous l'eau, là où les murènes sont des tueurs à gages patients et efficaces.
Ce que ça m'a rapporté : je ne passe plus trois quarts d'heure à enfiler une tenue grotesque. Je plonge directement avec masque et tuba. Je regarde Thalassa. Et je reste définitivement un piéton.
Musicien repenti. J'ai joué pas mal de l'accordéon diatonique (période folkeux), moins bien de la guitare (période baba). Résultat honorable, pouvait mieux faire.
Ce que j'ai dénoncé : la méthode rose, qui impose Haydn et Mozart à des gamins qui préfèreraient chanter avec Lilou, Camp Rock et Christophe Willem. Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas plus de musique à l'école, l'après-midi, avec des vrais musiciens qui viendraient apprendre des musiques simplement récentes. Et non pas Eine Kleine Nachtmusik, que des cohortes d'élèves massacrent à la flûte à bec.
Ce que ça m'a rapporté : un peu de frustration de ne plus en faire, mais le plaisir intact d'écouter ce que je veux.
Naturiste repenti. J'ai raconté ici l'histoire fameuse de ma seule et unique tentative dans ce domaine. Vivre à poil du matin jusqu'au soir a des avantages certains (pas la peine d'emmener une valise) et des inconvénients indéniables, comme faire la queue nu comme un ver face à la caissière de l'épicierie du camp -qui a des gros seins- et ne pas obtenir d'autres démonstrations d'affection, quand on se plante devant elle, qu'un sévère «Et avec ça, ce sera tout ?»
Ce que je dénonce : le regroupement des adeptes de la tenue d'Adam et Eve dans des parcs animaliers sévèrement gardés.
Ce que ça m'a rapporté : je l'ai fait, c'est bon. Expérience suivante ?
Illustrations : club naturiste Bélizy, Renan Luce, Le Quatuor, Danuta Nowak/Marcin Wójcik