Dans ma note précédente, j’ai relevé les tics de ponctuation et les manies syntaxiques des rédacteurs du post.fr. Ils usent et abusent du point d’interrogation dans les titres, en général synonyme d’informations non sourcées ou invérifiables. Ils affectionnent aussi particulièrement «Dérapage», «Clash» et autres «Tacler», pour faire monter en mayonnaise pseudos-scandales et simili-polémiques. Benoît Raphaël, rédacteur en chef du Post, m'a répondu ici.
Les autres sites d’information sont-ils plus sourcilleux ? Avec un seul indice (le point d’interrogation dans un titre), je suis allé voir Slate, Marianne2, Agoravox, Libération… L’exercice a ses limites : il est difficile de comparer des sites animés par des journalistes avec lepost.fr, qui agrège des contributions de rédacteurs lambda : il suffit juste de s’engager à respecter la charte éditoriale. Et pour certains, la charte éditoriale, c’est comme le paillasson à l’entrée : on l’oublie la plupart du temps et quand on le remarque, c’est pour s’essuyer les pieds dessus.
Sur le site de slate, le 8 novembre 2009, j’ai trouvé cinq articles qui répondent au critère, dont au moins deux sont sujets à caution. Voici un premier exemple :
Pierre Bergé : responsable mais pas coupable ?
Le coup de Pierre Bergé a-t-il coûté cinq millions d'euros au téléthon?
Dans cette note publiée par Jean-Yves Nau, pourquoi afficher cette liaison entre deux faits, la sortie de Bergé et le résultat du Téléthon ? Je ne dis pas que cette info est fausse, je dis qu’elle n’est pas prouvée dans l’article. Mais ça se gâte avec cette autre note :
Roosevelt est-il mort d'un cancer?
Les médecins ont-ils laissé Franklin D. Roosevelt se présenter en 1944 pour un 4e mandat tout en sachant qu'il souffrait d'un cancer généralisé ?
Il s’agit d’une traduction d’un article paru dans le Slate anglophone. Ça commence avec de l’alléchant : «C'est ce que laissent entendre d'étonnantes nouvelles recherches. Le docteur qui a soi-disant dit la vérité sur la mort de Roosevelt en 1970 aurait donc en fait continué à mentir... » Ah mon vieux, s’il n’était déjà mort en 1995, ce toubib ne se serait pas remis d’une telle attaque. Mais à la fin de l’article, l'intertitre et ce début de texte cassent un peu l’ambiance : «Pas de preuve tangible - Leurs conclusions sont-elles plausibles ?…»
Il faudrait savoir : il est mort d’un cancer ou il n’est pas mort d’un cancer ? Si on n’est pas sûr, on peut au moins faire l’effort de titrer sur autre chose. Le titre de l’article dans la version anglaise de Slate était plus respectueux du contenu : Roosevelt's Last Days. Et le sous-titre anglais est devenu le titre de la version française : Did cancer kill FDR?
Allons voir du côté de Marianne2. Le site et le magazine se sont installés sur le créneau des pourfendeurs des idées reçues et de la pensée unique. Allons-y gaiement :
Dialogue DSK-Sarko: une info vérifiée?
Luc Mandret, blogueur associé du site, décortique une info qui tourne sur le web, et dont il affirme qu’elle n’est pas avérée. Le papier est réjouissant, relevant les rebonds dans la presse de la dépêche du Point non sourcée. Mais le blogueur n’a pas fait l’effort d’appeler le site à l’origine de la fuite, pour essayer de comprendre ce mic mac. Avec la source repérée et les explications du site, le papier prenait une toute autre dimension. Là, on reste dans le lot habituel des ricanements sans effet notable. Avec juste un point d’interrogation qui signe l’info approximative. Autre exemple ? Il n'y a qu'à demander :
Histoire-géo : Chatel va-t-il passer en force?
C’est signé Jean-Paul Brighelli, blogueur associé. J’ai eu beau chercher, je ne vois que des affirmations du blogueur, et rien d’appuyé par des preuves. Ça ne me dérange pas que le blogueur donne sa position sur le dossier. Ça me gêne davantage qu’il présente ça comme une actu et non une tribune.
Rendons cette justice à Marianne2, les titres avec point d’interrogation ne sont pas légion. Mais curieusement, c’est un repaire d’artistes du point d’exclamation :
Estrosi: Besson aurait évité le nazisme aux Allemands!
Le journaliste qui a lancé la chaussure sur George Bush se prend un retour de godasse !
Le Parisien prend la défense des politiques contre le Grand Méchant Web !
Ça doit être une nouvelle forme de cri, pour attirer l’attention sur le web. Genre «Youhou, venez-voir, j’ai un truc trop top à vous dire ! Non, mais regardez quoi, allez, un bon mouvement !». Parce qu’un retour de godasse ou un nazisme évité aux Allemands sans ponctuation d’étonnement à la clé, ça fait tout de suite beaucoup plus cheap…
Je suis aussi allé faire un tour du côté d’Agoravox. Un média citoyen, comme il se proclame. Les articles proposés sont soumis au vote de modérateurs, autrement dit des rédacteurs ayant publié au moins quatre articles sur le site. Il est précisé que «la synthèse des votes, la mise en ligne et les dernières vérifications d’usage sont réalisées par une équipe de professionnels. (…) Ainsi, sur AgoraVox, la parole n’est ni au "peuple", ni aux "élites" ». Notez les élites mises entre guillemets, qui font tout de suite moins les fières. Et plus loin : «Le comité de rédaction se chargera de vérifier la conformité des propos tenus avec la politique éditoriale d’AgoraVox.» Ouf, nous voilà rassurés. Mais si je vous dis Miss France, sans réfléchir, à quoi pensez-vous à propos de l'élection de Malika Ménard ? A-t-elle tourné des vidéos pornos à ses débuts ? Gagné ! Vous pouvez publier dans lepost.fr ET dans Agoravox :
Miss France 2010 : des photos nues ? Enfin ?
C’est une certaine Clémentine Hautaine qui s’y colle dans Or Série, une déclinaison d'Agoravox. Bah alors, qu’est-ce qu’ils fabriquent sur le web ? Ils n’ont encore rien trouvé ? Même pas un sein qui dépasse ? Même pas une cuisse qui s’oublie ? Et Photoshop, c’est pour les chiens ? Et les ex-amants, ils ne racontent pas les parties de jambes en l’air avec Miss Normandie ? C’est à désespérer. Donc, non, vraiment, il n'y a rien. Mais ça n'empêche pas de faire un titre...
Un article du 1er décembre, creusait déjà le sillon :
Miss France 2010 : Vers une abstention massive ?
Là, il fallait lire très attentivement l’article pour découvrir que tout ça, c’était encore du flan, comme le point d’interrogation le laissait supposer : «Si une inconnue demeure encore sur le niveau de la participation, le phénomène de «vote clocher» ne doit pas être sous-estimé.» Donc, on ne connait pas la participation, mais ça n’empêche pas de dire que l'abstention est massive. Normal, avec le point d’interrogation magique, tout passe… et dans le corps de l'article, on parle d’autre chose : les photos de Miss France nue existantes, ayant existé ou ayant l’intention d’exister.
Finissons sur un cas particulier, Libération. Pas ou peu de trace d’articles survendus grâce au point d’interrogation (c’est le cas également du Figaro.fr et du Monde.fr, par exemple). Il faut dire que la maison Libé s’enorgueillit d’une grande tradition du titre chantourné, avec des chefs d’édition qui passent tous les articles à la moulinette. J’ai eu beaucoup de mal à en trouver, et le peu récolté correspond à des formules du style «combien de divisions ?» qui n’ont rien à voir avec l’envie de vendre autre chose que ce qui est écrit. C’est donc assez amusant de voir que les anciens de Libé, livrés à eux-mêmes, multiplient les recours à la ponctuation qui n’apportent pas grand-chose à leur propos. Tel Frédéric Filloux qui titre un de ses papiers sur Slate :
Le Kindle2 d'Amazon peut-il sauver la presse?
Et les sous-titres sont à l’avenant : «Vers des journaux électroniques et payants?», «Au fait, quid du Kindle en France?». J’ajouterai bien «Et à part ça, quoi de neuf, Frédo ?». Mais ça sera encore pris pour du mauvais esprit…
Les autres sites d’information sont-ils plus sourcilleux ? Avec un seul indice (le point d’interrogation dans un titre), je suis allé voir Slate, Marianne2, Agoravox, Libération… L’exercice a ses limites : il est difficile de comparer des sites animés par des journalistes avec lepost.fr, qui agrège des contributions de rédacteurs lambda : il suffit juste de s’engager à respecter la charte éditoriale. Et pour certains, la charte éditoriale, c’est comme le paillasson à l’entrée : on l’oublie la plupart du temps et quand on le remarque, c’est pour s’essuyer les pieds dessus.
Sur le site de slate, le 8 novembre 2009, j’ai trouvé cinq articles qui répondent au critère, dont au moins deux sont sujets à caution. Voici un premier exemple :
Pierre Bergé : responsable mais pas coupable ?
Le coup de Pierre Bergé a-t-il coûté cinq millions d'euros au téléthon?
Dans cette note publiée par Jean-Yves Nau, pourquoi afficher cette liaison entre deux faits, la sortie de Bergé et le résultat du Téléthon ? Je ne dis pas que cette info est fausse, je dis qu’elle n’est pas prouvée dans l’article. Mais ça se gâte avec cette autre note :
Roosevelt est-il mort d'un cancer?
Les médecins ont-ils laissé Franklin D. Roosevelt se présenter en 1944 pour un 4e mandat tout en sachant qu'il souffrait d'un cancer généralisé ?
Il s’agit d’une traduction d’un article paru dans le Slate anglophone. Ça commence avec de l’alléchant : «C'est ce que laissent entendre d'étonnantes nouvelles recherches. Le docteur qui a soi-disant dit la vérité sur la mort de Roosevelt en 1970 aurait donc en fait continué à mentir... » Ah mon vieux, s’il n’était déjà mort en 1995, ce toubib ne se serait pas remis d’une telle attaque. Mais à la fin de l’article, l'intertitre et ce début de texte cassent un peu l’ambiance : «Pas de preuve tangible - Leurs conclusions sont-elles plausibles ?…»
Il faudrait savoir : il est mort d’un cancer ou il n’est pas mort d’un cancer ? Si on n’est pas sûr, on peut au moins faire l’effort de titrer sur autre chose. Le titre de l’article dans la version anglaise de Slate était plus respectueux du contenu : Roosevelt's Last Days. Et le sous-titre anglais est devenu le titre de la version française : Did cancer kill FDR?
Allons voir du côté de Marianne2. Le site et le magazine se sont installés sur le créneau des pourfendeurs des idées reçues et de la pensée unique. Allons-y gaiement :
Dialogue DSK-Sarko: une info vérifiée?
Luc Mandret, blogueur associé du site, décortique une info qui tourne sur le web, et dont il affirme qu’elle n’est pas avérée. Le papier est réjouissant, relevant les rebonds dans la presse de la dépêche du Point non sourcée. Mais le blogueur n’a pas fait l’effort d’appeler le site à l’origine de la fuite, pour essayer de comprendre ce mic mac. Avec la source repérée et les explications du site, le papier prenait une toute autre dimension. Là, on reste dans le lot habituel des ricanements sans effet notable. Avec juste un point d’interrogation qui signe l’info approximative. Autre exemple ? Il n'y a qu'à demander :
Histoire-géo : Chatel va-t-il passer en force?
C’est signé Jean-Paul Brighelli, blogueur associé. J’ai eu beau chercher, je ne vois que des affirmations du blogueur, et rien d’appuyé par des preuves. Ça ne me dérange pas que le blogueur donne sa position sur le dossier. Ça me gêne davantage qu’il présente ça comme une actu et non une tribune.
Rendons cette justice à Marianne2, les titres avec point d’interrogation ne sont pas légion. Mais curieusement, c’est un repaire d’artistes du point d’exclamation :
Estrosi: Besson aurait évité le nazisme aux Allemands!
Le journaliste qui a lancé la chaussure sur George Bush se prend un retour de godasse !
Le Parisien prend la défense des politiques contre le Grand Méchant Web !
Ça doit être une nouvelle forme de cri, pour attirer l’attention sur le web. Genre «Youhou, venez-voir, j’ai un truc trop top à vous dire ! Non, mais regardez quoi, allez, un bon mouvement !». Parce qu’un retour de godasse ou un nazisme évité aux Allemands sans ponctuation d’étonnement à la clé, ça fait tout de suite beaucoup plus cheap…
Je suis aussi allé faire un tour du côté d’Agoravox. Un média citoyen, comme il se proclame. Les articles proposés sont soumis au vote de modérateurs, autrement dit des rédacteurs ayant publié au moins quatre articles sur le site. Il est précisé que «la synthèse des votes, la mise en ligne et les dernières vérifications d’usage sont réalisées par une équipe de professionnels. (…) Ainsi, sur AgoraVox, la parole n’est ni au "peuple", ni aux "élites" ». Notez les élites mises entre guillemets, qui font tout de suite moins les fières. Et plus loin : «Le comité de rédaction se chargera de vérifier la conformité des propos tenus avec la politique éditoriale d’AgoraVox.» Ouf, nous voilà rassurés. Mais si je vous dis Miss France, sans réfléchir, à quoi pensez-vous à propos de l'élection de Malika Ménard ? A-t-elle tourné des vidéos pornos à ses débuts ? Gagné ! Vous pouvez publier dans lepost.fr ET dans Agoravox :
Miss France 2010 : des photos nues ? Enfin ?
C’est une certaine Clémentine Hautaine qui s’y colle dans Or Série, une déclinaison d'Agoravox. Bah alors, qu’est-ce qu’ils fabriquent sur le web ? Ils n’ont encore rien trouvé ? Même pas un sein qui dépasse ? Même pas une cuisse qui s’oublie ? Et Photoshop, c’est pour les chiens ? Et les ex-amants, ils ne racontent pas les parties de jambes en l’air avec Miss Normandie ? C’est à désespérer. Donc, non, vraiment, il n'y a rien. Mais ça n'empêche pas de faire un titre...
Un article du 1er décembre, creusait déjà le sillon :
Miss France 2010 : Vers une abstention massive ?
Là, il fallait lire très attentivement l’article pour découvrir que tout ça, c’était encore du flan, comme le point d’interrogation le laissait supposer : «Si une inconnue demeure encore sur le niveau de la participation, le phénomène de «vote clocher» ne doit pas être sous-estimé.» Donc, on ne connait pas la participation, mais ça n’empêche pas de dire que l'abstention est massive. Normal, avec le point d’interrogation magique, tout passe… et dans le corps de l'article, on parle d’autre chose : les photos de Miss France nue existantes, ayant existé ou ayant l’intention d’exister.
Finissons sur un cas particulier, Libération. Pas ou peu de trace d’articles survendus grâce au point d’interrogation (c’est le cas également du Figaro.fr et du Monde.fr, par exemple). Il faut dire que la maison Libé s’enorgueillit d’une grande tradition du titre chantourné, avec des chefs d’édition qui passent tous les articles à la moulinette. J’ai eu beaucoup de mal à en trouver, et le peu récolté correspond à des formules du style «combien de divisions ?» qui n’ont rien à voir avec l’envie de vendre autre chose que ce qui est écrit. C’est donc assez amusant de voir que les anciens de Libé, livrés à eux-mêmes, multiplient les recours à la ponctuation qui n’apportent pas grand-chose à leur propos. Tel Frédéric Filloux qui titre un de ses papiers sur Slate :
Le Kindle2 d'Amazon peut-il sauver la presse?
Et les sous-titres sont à l’avenant : «Vers des journaux électroniques et payants?», «Au fait, quid du Kindle en France?». J’ajouterai bien «Et à part ça, quoi de neuf, Frédo ?». Mais ça sera encore pris pour du mauvais esprit…