Au fond, Twitter, c'est simple : c'est mieux d'être suivi que de suivre. Je m'explique, suivez-moi bien. L'idée est d'avoir plus de gens qui ME suivent que de gens que JE suis. De followers que de following. Si on vous suit, c'est que vous êtes important, vous êtes d'accord. Alors, pour que ça marche, copiez le théorème qui suit et collez-le en post-it sur votre écran.
Théorème : Pour être un(e) cador sur Twitter, il faut et il suffit que :
N(gens qui me suivent) - M(gens que je suis) >0
Faites donc en permanence cette habile soustraction. Exemple : 437 followers - 379 following, ça nous fait gngngngn, je pose 8, je retiens 1. Résultat : + 58 de différence. Ben là, c'est bien. Vous paradez dans le carré VIP. Non seulement vous entrez au Bus Palladium avec les compliments des vigiles, mais en plus, Benjamin Patou vous claque la bise et vous présente Julien Doré. Quand vous croisez Sarkozy, on se demande qui c'est le petit nerveux à côté de vous. En revanche, si vous comptez 254 followers et 336 following, vous êtes à -82. Là, ça sent vraiment le pâté. Ouh les cornes ! Vous êtes un mauvais, un minable, un triple zéro pointé, un extrait de lavement macéré dans la pisse d'âne, tout juste bon à colmater les fissures des cagoinces à la turque du café près de chez votre grand-mère.
Je le répète, c'est une loi d'airain : ça pose tout de suite d'être suivi par plus de gens que de gens qu'on suit. Et pour y parvenir, il faut manager son réseau en finesse, pour sauvegarder l'écart magique qui vous pose son twittos. Attention à l'impair, donc : vos connexions, c'est fragile, ça disparaît d'un rien. C'est de la dentelle, du pet de lapin en aérosol, de la buée enroulée dans du fil d'araignée anorexique. Il ne faut surtout pas les brusquer, vos connexions.
Déjà, il faut leur faire des courbettes obséquieuses quand elles vous acceptent dans leur réseau. Même si ce sont des brêles de première bourre, à peine bonnes pour jouer les doublures du cochon dans la Ferme célébrités, il faut s'agenouiller sur le parquet poussiéreux et se prosterner face contre lame pour rendre grâce à ces phares de la pensée immédiate qui éclairent notre vie monocorde à neu-neu. Il faut les cajoler, leur masser la nuque, leur servir une Fine, leur demander s'ils ont bien dormi le matin. Et s'ils ne sont pas trop fatigués le soir. Il faut s'extasier devant la pertinence et la profondeur de leur jugement. Et quand ça arrive, c'est-à-dire rarement, il faut les remercier mille fois d'avoir condescendu à relayer un de vos laborieux messages. Et puis, il faut rester dans le ton, jamais un tweet plus haut que l'autre.
Moi, j'y arrive difficilement. Je ne sais pas me tenir. Je me fais remarquer, comme le jour où j'ai débarqué de province à la gare de Lyon, avec mes grosses paluches, le sandwich de ma maman dans un papier gras, mes chaussures qui baillaient, mon pantalon feu de plancher et ma baliche en carton avec la photo de Linda de Suza collée dans le fond du couvercle. Et bien au lieu de me faire petit, au lieu de dissimuler mes tares congénitales en balançant un écran de platitudes incolores, inodores et sans saveur, je crache des Valdas aussi sonores que malodorantes qui cassent l'ambiance aussi sûrement qu'une photo de Barack Obama dans un vestiaire du Ku Klux Klan. Alors qu'il faudrait dire à cet auteur à succès...
- Doespirito @BHV : J'aime beaucoup votre dernier livre. Quelle production!
... je lâche un consternant cri du cœur :
- Doespirito @BHV : On voit bien que c'est vous qui l'avez écrit, celui-là...
Alors là, clic, je gicle aussi sec, avec la marque d'un 43 Berlutti décalquée sur le fond de mon jean. Et les affidés de la vedette s'en vont également, en me jetant des mottes de terre au passage. Une phrase de trop, hop, 45 followers en moins. Qui dit mieux ? Mais c'est plus fort que moi, je recommence dès que l'occasion se présente, alors que le postérieur me cuit encore. Je continue de plus belle : au lieu de m'égosiller de bonheur devant l'indigence des tweets de certains illustres inconnus...
- Lamy-Blaireau : en route pour le sommet de Davos. Ça bouchonne à Porte de Clignancourt
... je ramène ma fraise et ma science en même temps et je dégaine en plus mon fusil à dégommer les tanches :
- @Lamy-Blaireau Dis à ton chauffeur qu'il mette Rire et Chansons. Tu pourras imiter Magdane en séance
Côté relations avec les médias, je ne suis pas plus prudent. Quand il faudrait s'extasier devant Pierre Haski, journaliste sinisant qui tweete minute par minute son agenda passionnant :
- Pierre_Haski : Colloque INA ce soir à la BNF: retour sur Timisoara, "emballement médiatique". A quand un "Timisoara du web" ?...
Moi, je sors l'artillerie lourde et je tire à boulets chauffés à blanc, et sur les chiottes en plus, histoire que ça pue bien fort sur les décombres fumants.
- RT PatrickBruel : Kestu fou, @Pierre_Haski, c'est à toi de parler, merde, sois au jeu. #pokerenligne
Là, mon vieux, tout de suite, c'est l'hémorragie, que dis-je, l'hémophilie. Ça ne s'arrête plus. J'ai des palanquées de followers qui sautent à la baille plutôt que conserver dans leurs contacts un pestiféré sidaïque comme moi. Ça se bouscule pour se barrer pire qu'à l'entrée de Saint-Lazare, un vendredi soir. Et quand Le Figaro me propose un sondage, c'est pas mieux :
- Le_Figaro Faut-il rouvrir les maisons closes ? http://bit.ly/9xOYBF
Au lieu de fermer mon clapet, je réponds, la bave aux lèvres et l'œil concupiscent :
- Doespirito Moi, je veux bien aller à la journée Portes ouvertes @Le_Figaro #Parispascher
Non seulement je suis blacklisté aussi sec par le modérateur, mais je ne suis pas près d'être invité à l'arbre de Noël du journal.
C'est ballot, n'empêche. Au début, ça me terrifiait. Je ne dormais pas de la nuit quand j'avais perdu un follower. J'avais des angoisses terribles : «Est-il mort ? A-t-il déménagé au Kosovo ? S'est-il marié avec Diam's?». Et puis, je me suis habitué peu à peu. Et maintenant, c'est le contraire. Je suis content quand les départs se comptent par dizaines. Et quand je perds moins de dix followers par jour, je menace de retwitter les messages d'Eric Zemmour.
A ce rythme de vacheries numériques, mon réseau tendra rapidement et sûrement vers le quadruple zéro absolu pointé. Bientôt, je serai seul, comme un chien. Mais mon combat est juste. Je me bats pour la liberté de mes tweets. Je sais que la lutte sera rude, et qu'à la fin des fins, je perdrai. Quand il n'en restera plus qu'un, je sais que je serai celui-là, et ça me rassure, dans un sens. Mais je conserverai mon franc-parler. Quitte à me dé-follower moi-même si je ne me supporte plus mes écarts de langage.
La suite (car il y en a une) est ici.