On se demande tous ce que fabrique quotidiennement Fabrice Tourre, le fameux français banquier d'affaires officiant chez Goldman Sachs, célèbre depuis son audition devant la chambre des représentants américaine. Au prix des pires difficultés et de bassesses incroyables, j'ai presque réussi à reconstituer une de ses journées types. Presque...
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8h00 am
Fabrice Tourre gare sa Maserati Quattroporte dans le parking du siège londonien de Goldman Sachs, sur Fleet Street. Histoire de se mettre de bonne humeur (chez Goldman Sachs, on ne plaisante pas avec le moral des salariés), il renverse le seau de Jotham, l'homme de ménage philippin qui lave le pavé et assure la sécurité 24h sur 24. Jotham dort le reste du temps, à même le sol, recouvert de bandes réfléchissantes. Chez Goldman Sachs, en effet, on ne plaisante pas avec la sécurité des voitures des employés.
8:02 am
Fabrice Tourre rejoint son bureau, se sert un "coffee", comme on dit chez GS, qui n'a pas l'habitude de plaisanter avec le niveau d'anglais de ses salariés, rentre son "password" et démarre sa longue journée devant son "screen", comme on dit dans le jargon des banques d'affaires. Son "job" consiste à connecter des clients qui anticipent qu'une "asset" (action) va "rise" (monter) avec d'autres clients qui anticipent qu'elle va "fall" (se ramasser comme une vieille merde). Il lui faut maintenant cravacher, car cet après-midi, avec le décalage horaire, il faudra être fin "ready" pour spéculer contre la Grèce.
8:05
Fabrice Tourre ne cache pas son désappointement, et on le "understand". Suite à quelques broutilles survenues sur le marché immobilier, l'un des "products" incriminés, Abacus 07 AC-1, a été suspendu par les autorités du marché. Ça, c'est trop "strong", on ne peut plus s'amuser innocemment, soi-disant à cause des subprimes. Soi-disant, on n'est pas dupe, chez Goldman Sachs. Mais qu'à cela ne tienne, Fabrice Tourre, qui en plus d'un dans son sac, invente en deux temps trois mouvements un nouveau produit, Hibiscus 08BD-02 et le Tourre est joué (ah dis donc, je tiens une de ces formes, moi...). Ce produit-là est encore mieux que le précédent, comme si c'était possible, et tout aussi incompréhensible, mais ça, c'est son "job". Grâce à "Fabulous Fab", on peut non seulement se couvrir contre les risques à la hausse («Fais péter le vouvray pétillant») et à la baisse («Patatras, annule les vacances au Crotoy»), mais aussi contre le H1N1 (un masque est offert à chaque acheteur du produit), les mites alimentaires (une tapette offerte à chaque client), le sida (un préservatif et un DVD de Benoît XVI en prime) et la tourista (un rouleau de PQ et un sac de sable pour enfouir les matières fécales, en cadeau de bienvenue). Avec un léger supplément, on peut même être couvert avant et après une rencontre avec Zahia, la tigresse des footeux.
9:30 am, pile
Le nouveau produit est prêt. Ne reste plus qu'à "flood" le marché. Mais ça, c'est le "job" d'un autre "executive director", car chez Goldman Sachs, on ne plaisante pas avec la division du travail. C'est l'heure d'un "coffee break" bien mérité. Devant la nouvelle machine Nespresso (on la change tous les jours, ça coûtait plus cher de demander à Jotham de la détartrer), il discute le bout de Grèce, pardon de gras avec ses collègues. Son "boss" Jonathan Egol est en grande forme : «Tu sais la différence entre une Grecque et un ascenseur ? Y en a pas, tu mets ton doigt où t'habites. krrr krrr krrr». «Mais qu'il est con, ce Jonathan !», s'esclaffe Fab Fab, bon camarade et aussi parce que son entretien d'évaluation annuel est pour bientôt.
9h43
En retournant au bureau, Fab et Jon, jamais en reste d'une bonne blague, se soulagent sur la "carpet" en écrivant "Congratulations Jotham", car ce bon vieux philippin a été nommé employé du mois. Accessoirement, parce que c'est lui qui nettoie la "carpet". «La prochaine fois, c'est moi qui écrit Jotham», rouspète Jon, qui a eu du mal à finir sa calligraphie : il n'avait bu qu'un seul "coffee" à la pause.
9:52
C'est le coup de feu : Fabrice est convoqué pour une "video conférence" avec la direction de Goldman Sachs. Ça sent furieusement "le pâté", ils vont devoir affronter des sénateurs remontés contre les banques d'affaires de Wall Street, qui ont été prises la main dans le Sachs («Ah mais qu'il est con, ce Jon...»). Il faut se mettre "agree" sur la conduite à tenir. Le PDG demande à Fabulous Fab ce qu'il va répondre si on le questionne sur la déroute financière de la Grèce :
- «Ah bah ça tombe super bien, je connais une "joke" que mon boss m'a raconté. Quelle est la différence entre une Grecque et un ascenseur...»
Une légère crispation de la mâchoire du PDG montre qu'il est moyennement sensible à l'humour méditerranéen de Jonathan Egol. Il lève sa "hand" avec deux doigts en V.
- «Combien j'ai de doigts, Fabrice ?»
- «Euh ben deux, patron», bredouille Fab Fab.
- «Eh bien vous savez combien de jours il vous reste pour répéter et connaître ça par cœur, voyage à Washington compris», dit-il en montrant un classeur A4 de 25 cm d'épaisseur. «Et là, j'en ai combien», ajoute-t-il en levant son majeur vers le ciel ?
- «Euh ben, trop "easy", patron, un seul...» lâche-t-il dans un "blow"
- «Imaginez ce qui se passera si vous "forget" une seule ligne ! Je ne donne pas "expensive" de votre peau...»
10h34
Sa journée ruinée, Fabrice retourne à son "desk". Il croise Jotham, silencieux, en train de nettoyer la "carpet". «Et bonjour, c'est en option ? Qu'est-ce qu'il se croit pas, celui-là, depuis qu'il a été nommé employé du mois !»