Les 10 rangers qui surveillent l’atoll Aldabra (Seychelles) collectent chaque mois 500 kg de déchets marins sur les plages de ce sanctuaire d’espèces protégées, inscrit au patrimoine de l’Unesco. Tongs, bouts de tuyaux, sacs et bouteilles en plastique… Tous ces déchets sont balancés des bateaux par les marins et les plaisanciers ou même jetés sur les plages des terres de l’Océan Indien, dont la plus proche est pourtant à 500 km de là. Si vous lancez une bouteille à la mer en Bretagne, elle a une petite chance d’y parvenir.
Ça ne risque pas d’arriver à Voyager 1. Cette sonde spatiale, lancée il y a plus de 30 ans, et qui s’est adjugée le titre d’objet terrestre le plus éloigné de notre planète, est aussi une “bouteille à la mer” interstellaire. Mais la probabilité qu’elle soit un jour récupérée est nulle ou quasi. Elle arrivera dans les parages de l’étoile la plus proche dans 40 000 ans. Le nom de cette étoile est hyper-poétique : “AC+79 388”, située dans la constellation de la Girafe. L’autre sonde, Voyager 2, pointe vers Sirius, superbe étoile, la plus brillante du ciel d’hiver, qu’elle atteindra dans 296 000 ans. Une misère.
Autant dire qu’on en aura oublié jusqu’à l'existence. En espérant qu’il reste de la vie sur Terre, ce qui relèvera du miracle, vu le nombre d’imbéciles disposés à la faire sauter, Artus-Bertrand aura supplanté Bouddha, Mahomet et Jésus-Christ au titre des religions universelles. Et nos descendants passeront leur temps en pèlerinage sur orbite basse à faire des photos de la Terre vue du ciel, au lieu de se préoccuper des sondes qui s’éloignent dans l’autre sens, vers l’infini et au-delà.
Même en supposant qu’elles arrivent un jour quelque part, en évitant météorites, comètes et autres astéroïdes, Voyageur 1 aura cessé d’émettre en 2025. Si elle arrive aux parages d’une planète, les extra-terrestres risquent de prendre peur et d’anéantir cet aérolithe aveugle et sourd. Ils doivent bien avoir produit quelques films genre Armageddon, et mis en place la procédure idoine pour détruire les objets célestes trop curieux. Ne serait-ce que pour justifier les colossaux budgets militaires aliens.
Mais bon, en imaginant qu’elle sorte indemne des dangers de l’Espace, et qu’une intelligence extra-terrestre trouve un moyen malin pour la récupérer sans dommage (mine de rien, elle file à 17 km à la seconde…), elle devra plonger nos amis du futur dans la plus profonde perplexité. Ou déclencher un puissant fou rire, si cela existe chez les Girafiens (habitants de la Constellation de la Girafe).
Revenons en effet à notre histoire de bouteille. Dans Voyageur 1 et 2, on a placé une douzaine de disques en cuivre recouverts d’or, comportant des enregistrements lisibles avec les moyens de l’époque (1977). Autrement dit avec une aiguille de microphone, technologie qui prête déjà à rire 32 ans plus tard. Alors vous pensez, dans 40 000 ans... On va vraiment passer pour des ploucs. On aurait eu plus vite fait de leur envoyer un bout de silex planté dans un manche en bois. Sur le couvercle de la boîte qui contient les disques, il y a le mode d’emploi. Vous me connaissez, je ne suis pas du genre à critiquer. Mais celui qui est capable de comprendre cette notice est VRAIMENT un extra-terrestre. La vitesse de rotation du disque est indiquée en langage binaire. La tête d’ET quand il va lire ça… «Ah les zorglubs [blaireaux, en girafien], ils savent compter jusqu’à deux !».
Dans un coin du couvercle, il est précisé que le temps de rotation du disque doit être calculé en multipliant ce nombre binaire par la période de transition hyperfine de l'hydrogène, soit : 5 113 380 864 x 0,70.10-9 . Ce qui donne (on ne souffle pas, SVP, c’est déjà assez compliqué comme ça) : 3,6 secondes par rotation. J’aurais inventé un truc pareil, je pourrais porter à vie un masque de Mickey pour ne pas être reconnu et pour éviter que les enfants me jettent des pierres dans la rue. Pour être honnête, les notices de nos objets actuels ne sont guère plus explicites. Je me suis battu l’autre jour avec le manuel de mon lecteur de DVD. J’ai failli l'expédier dans l’espace, vu sa clarté limpide.
Donc, à supposer que les Aliens arrivent à faire démarrer le disque, ils pourront entendre des tas de bruits : cris d’animaux, pleurs de nourrisson, vent, tonnerre, démarrage d’un bus, marteau-piqueur… Ils écouteront aussi de la musique, surtout classique et folklorique, comme de la flûte de Pan des Iles Salomon, un chant pygmée et des cornemuses d’Azerbaïdjan. Autant de trucs pénibles et de motifs suffisants pour déclencher une guerre des Mondes… Seule concession à la modernité, “Melancholy Blues”, par Louis Armstrong et “Johnny Be Good” par Chuck Berry… Michael Jackson n’avait que 19 ans, il faut dire, à l’époque du lancement de Voyager 1 et 2.
Il y a également des enregistrements de «Bonjour» en 55 langues différentes. Pour entendre le «Bonjour» en français, il faut aller sur cette page. On entend une voix de femme qui dit un jovial «Bonjour tout le monde». Enfin, il ne faut pas oublier les images que le vidéodisque peut visualiser, si Darty a ouvert une succursale sur Bételgeuse. Là, c’est carrément la loose. Un diagramme de fœtus dessiné avec les pieds. Des définitions mathématiques format microfilms, aussi obscures que la notice. Un dessin de l’ADN que même mon lapin nain doit faire mieux avec ses dents.
Et comme nos amis américains sont pudibonds comme pas deux, tout ce qui ressemble à du sexe a été purement et simplement gommé. Sauf la fécondation, représentée genre choux et roses, sans carotte, malheureusement… Il faut dire que les concepteurs des précédents messages pour l’éternité des sondes Pionner 10 et 11 avaient été échaudés. Ils avaient représenté un homme et une femme nus (ci-dessus, seul le sexe de l’homme était à peu près reconnaissable. J’ai connu plus sensuel…) et s’étaient attirés les foudres des ligues de vertus outre-Atlantique. Cette fois-ci, dûment chapitrés par les bigots, le comité de sélection a écarté la photo sélectionnée d’un homme nu et d’une femme enceinte, pour inclure à la place la silhouette d’un couple au milieu de quelques représentants du règne animal (ci-dessous). Ils auraient dû mettre aussi “Petit ours brun va à l’école”, tant qu’ils y étaient. Je vois d’ici la tête des Aliens, surtout s’ils ont une sexualité genre Bonobos…
Et pour finir, la cerise sur le gâteau. On trouve deux messages de paix du président américain en exercice, Jimmy Carter, et du secrétaire général de l’Onu de l’époque, Kurt Waldheim. Un ancien planteur de cacahouètes, dont le caractère n’a pas marqué les esprits, et un ex-officier de la Wermacht qui a fini par se fâcher avec le monde entier : ça fait bon effet, je vous jure. Moi je dis, la prochaine fois qu’on envoie une sonde dans l’espace, je veux bien faire partie du comité de sélection. Ça va déchirer un peu plus que ces niaiseries hilarantes.
Je me souviens de mon enthousiasme juvénile, au départ des sondes Voyager. J’avais 20 ans, je trouvais ça extraordinaire, je regardais le ciel étoilé... Allons, arrêtons de ricaner. Cette histoire de bouteille à la mer galactique, qui sait, ça peut marcher… Artus-Bertrand, priez pour nous !
Illustrations : Astrosurf, Wikipedia, Nasa/JLP, Fondation Aldabra