Chaud, apaisant, le soleil filtre dans un carré de feuillage et caresse ma peau. La joue droite dans le gazon, je me cramponne de toutes mes forces aux touffes d’herbe. Des morceaux de rêve s’intercalent dans ma conscience. La dernière fois que j’ai regardé ma montre, il était presque midi. Maintenant, ça n’a plus d’importance. Je suis comme coincé en haut d’un mur d’escalade, sur un sol vertical. Répartir mon poids d’une jambe à l’autre, d’un bras à l’autre, pour les soulager. Ne pas réfléchir, ne pas penser à l’ankylose qui va gagner, au moment où je lâcherai. Je partirai alors en arrière dans l’infini… Rêver au bruit des vagues, aux petits matins, aux tables qu’on sort aux terrasses des cafés...
Mon bras gauche est envahi de moucherons minuscules, petits points noirs bondissants. Je n’ose pas souffler pour qu’ils s’envolent, de peur de décoller ma poitrine du sol. Je sens des piqûres brûlantes sur mon ventre. Un nid de fourmis rouges, sûrement. D’habitude, je les écrase, mais là, tant pis, qu’elles se repaissent ! Je ne vais pas lâcher ma prise pour quelques dizaines d’insectes virulents.
Mon visage est enfoui dans l’herbe mouillée, et pourtant j’ai bien chaud. Je suis blotti comme un enfant qui fait la sieste, sous sa couette à motifs… Je dors et je rêve, je rêve que je dors. Ne pas penser au ciel profond qui me tend les bras, dans mon dos. J’imagine les nuages que je vais traverser en hurlant. L’oreille collée au sol, j’entends un galop de jeunes poulains.
Un géant s’est approché de moi. Je ne l’ai pas entendu venir. Il va m’écraser sous les épaisses semelles de cuir… Non, il me lance un rassurant « Bonjour, Monsieur ! Comment ça va ? ». Je ne sais pas. Pas trop mal, sauf cette barre qui me cisaille les reins. Je reste crispé sur mon herbe, terrorisé à l’idée de m’envoler à l’envers. Il me demande mon nom, si je sais quel jour on est. C’est une cour de récréation, alors ? On joue aux devinettes ? Il m’interroge en pinçant mes mollets : «Ça, c’est quelle jambe ?». J’ai bien répondu, il a l’air satisfait… Une ombre passe derrière moi et fixe une sorte de pince à linge sur mon index. Le géant lance des ordres brefs. Je ne cherche pas à comprendre, je me concentre de toutes mes forces pour ne pas lâcher prise. D’autres géants le rejoignent et m’entourent, perpendiculaires à la prairie alors que je suis collé comme un perdu à la surface de ce globe gigantesque. Le premier Titan a l’air d’être le chef. On lui a dit « Mon lieutenant ».
Ça y est, ils m’attrapent, ils soulèvent mon bras gauche. Je lutte sans bouger, je m’oppose sans rien dire. Je sens une grosse pression sur mon bras, ils serrent si fort que mon sang se bloque. J’ai maintenant une escouade autour de moi, je ne vois que leurs rangers. Deux paires s’accroupissent de chaque côté de ma tête. Des mains gantées la soulèvent délicatement. Je ne dois pas leur échapper en partant à la renverse, c’est pour ça qu’ils sont si précautionneux. Ils me passent une sorte de collier qui enserre mon cou. Je suis leur prisonnier. Mes mains se crispent une dernière fois sur l’herbe. Peine perdue, au moins cinq paires de mains m’attrapent par en dessous, me déposent à plat ventre sur un lit mal commode, rond et creux comme une gouttière. Je n’ai pas bougé pendant qu’ils me portaient. Ils calent mes bras le long de mon corps. Ils serrent des sangles par derrière, c’est fini, je ne tomberai plus. Roulé sur un chariot, j’étouffe, j’ai mal au cou. Ils m’emmènent. En passant, j’aperçois un bout de toit. C’est bizarre un toit, quand on le regarde en étant à l’horizontale : on dirait une falaise. Depuis que j’en suis tombé, tout à l’heure, rien n’est plus pareil.
Mon bras gauche est envahi de moucherons minuscules, petits points noirs bondissants. Je n’ose pas souffler pour qu’ils s’envolent, de peur de décoller ma poitrine du sol. Je sens des piqûres brûlantes sur mon ventre. Un nid de fourmis rouges, sûrement. D’habitude, je les écrase, mais là, tant pis, qu’elles se repaissent ! Je ne vais pas lâcher ma prise pour quelques dizaines d’insectes virulents.
Mon visage est enfoui dans l’herbe mouillée, et pourtant j’ai bien chaud. Je suis blotti comme un enfant qui fait la sieste, sous sa couette à motifs… Je dors et je rêve, je rêve que je dors. Ne pas penser au ciel profond qui me tend les bras, dans mon dos. J’imagine les nuages que je vais traverser en hurlant. L’oreille collée au sol, j’entends un galop de jeunes poulains.
Un géant s’est approché de moi. Je ne l’ai pas entendu venir. Il va m’écraser sous les épaisses semelles de cuir… Non, il me lance un rassurant « Bonjour, Monsieur ! Comment ça va ? ». Je ne sais pas. Pas trop mal, sauf cette barre qui me cisaille les reins. Je reste crispé sur mon herbe, terrorisé à l’idée de m’envoler à l’envers. Il me demande mon nom, si je sais quel jour on est. C’est une cour de récréation, alors ? On joue aux devinettes ? Il m’interroge en pinçant mes mollets : «Ça, c’est quelle jambe ?». J’ai bien répondu, il a l’air satisfait… Une ombre passe derrière moi et fixe une sorte de pince à linge sur mon index. Le géant lance des ordres brefs. Je ne cherche pas à comprendre, je me concentre de toutes mes forces pour ne pas lâcher prise. D’autres géants le rejoignent et m’entourent, perpendiculaires à la prairie alors que je suis collé comme un perdu à la surface de ce globe gigantesque. Le premier Titan a l’air d’être le chef. On lui a dit « Mon lieutenant ».
Ça y est, ils m’attrapent, ils soulèvent mon bras gauche. Je lutte sans bouger, je m’oppose sans rien dire. Je sens une grosse pression sur mon bras, ils serrent si fort que mon sang se bloque. J’ai maintenant une escouade autour de moi, je ne vois que leurs rangers. Deux paires s’accroupissent de chaque côté de ma tête. Des mains gantées la soulèvent délicatement. Je ne dois pas leur échapper en partant à la renverse, c’est pour ça qu’ils sont si précautionneux. Ils me passent une sorte de collier qui enserre mon cou. Je suis leur prisonnier. Mes mains se crispent une dernière fois sur l’herbe. Peine perdue, au moins cinq paires de mains m’attrapent par en dessous, me déposent à plat ventre sur un lit mal commode, rond et creux comme une gouttière. Je n’ai pas bougé pendant qu’ils me portaient. Ils calent mes bras le long de mon corps. Ils serrent des sangles par derrière, c’est fini, je ne tomberai plus. Roulé sur un chariot, j’étouffe, j’ai mal au cou. Ils m’emmènent. En passant, j’aperçois un bout de toit. C’est bizarre un toit, quand on le regarde en étant à l’horizontale : on dirait une falaise. Depuis que j’en suis tombé, tout à l’heure, rien n’est plus pareil.