J'en apprends tous les jours. Je croyais qu’il existait une règle d’orthographe qui disait : quand on a zéro quelque chose, pas besoin que ce quelque chose soit au pluriel. Ainsi, j’écrivais «j'ai fait une dictée sans faute», sans mettre de «s» à «faute». Normal, me disais-je in petto et en moi-même parce qu’il n’y en avait pas. Il faut dire que je suis allé à bonne école. Moi qui étais un enfant distrait, il m’arrivait d’oublier de mettre un «s» quand il en fallait un. Alors mon instit me démontait la tête en me postillonnant dessus : «Il t’en faut combien de pommes pour que tu mettes un “s”», tout ça devant les copains hilares et incultes, ce qui n'est pas antinomique. Et quand il n’en fallait pas, c’était facile, car là, j’oubliais aussi. Zéro plus zéro était égal à la tête à Toto, certes, mais pas besoin de me mettre la tête au carré pour me sentir obligé de mettre un «s» à tout bout de champ. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Je vais donc prendre des exemples pris avec des pubs courantes.
Considérons cette affiche de 30 millions d’amis, qui réclame "un été sans abandons". Vous noterez que si «amis» prend bien un «s» car il y en a 30 millions, «abandon» devrait logiquement, pour moi, être au singulier. Eh bien non, comme on le verra plus loin. Oui je sais, j’ai mis «réclame» à la 3e personne du singulier. Ce ne sont pas «30 millions d’amis» qui réclament, c’est l’association qui le fait et elle est toute seule. Ne cherchez pas la petite bête, il n’y en pas, ni au singulier ni au pluriel. Donc, si j’essaie de comprendre l’intention linguistique de l’association toute seule, c’est qu’elle ne veut pas qu’il y ait plusieurs abandons au cours du prochain été. CQFD. Cela dit, mon esprit fertile a imaginé une suite imprévue : la petite Léa attachée à l’arbre de l’aire d’autoroute et le chien Benji (tu parles d’un nom…), en train de pleurnicher à l’arrière de la voiture qui se barre et devant, les parents sans cœur (au singulier) qui font comme si de rien n’était en se disant que demain, le chien aura oublié… C’est vrai que ça prend de la place, des enfants. Les chiens nous en réclament, on finit par céder. Au début, c’est tout mignon, mais après, ça grandit, il faut les faire pisser le soir avant de se coucher, et on est coincé quand on veut partir en vacances. Et les chiens ne s'en occupent plus. Et personne ne veut nous les garder.
Mais là où ça se gâte, c’est avec Coca Cola. Les canettes de Coca Light sont, je cite, «sans sucres» et «sans calorie», fin de citation. Si j’essaie de me mettre à la place des chefs de produit qui ont pondu cette curiosité orthographique, cela voudrait dire qu’il n’y aurait pas plusieurs sucres dans ce Coca Light. Commercialement parlant, ça veut dire aussi que ça fait beaucoup de choses en moins. Ben oui, ils mettent un «s» pour dire que grâce à cette société soucieuse de votre équilibre, vous évitez d’avaler plusieurs sucres. Oui, mais pourquoi mettre calorie au singulier. Car là (Bruni), on n’a pas un nom commun (sucre) mais une unité de mesure, comme des mètres de boudin ou des kilos de sucre (au singulier). Donc, si on suit leur schéma mental tarabiscoté, on aurait dû accorder également.
J’entends déjà certains internautes qui me disent «Oui, bon tout ça c’est bien joli, monsieur le raisonneur. Mais quelle est la règle ?». La voilà : on met un mot au pluriel après «sans» si on sait que quand il y en a, il y en a forcément plusieurs. Le temps de prendre un Doliprane et je m’explique, pas la peine de commencer à me balancer vos gommes dans le dos. Un pull sans manches, on met un «s» car il y en a forcément deux... Quand il y en a... Sauf dans des cas de configuration physique particulière, qui ne valent pas qu’on fasse exception à la règle. C’est comme pour les gants sans doigts que tricote Thérèse pour les petits lépreux. Mais là, je m’égare. Donc contrairement à ce que je disais plus haut, «J’ai fait une dictée sans fautes» s’écrit avec un «s», car on suppose qu’il y en a en général plusieurs. Donc, «un été sans abandons», c’est juste. On sait qu’il en a d’habitude plusieurs, des chiens et des enfants attachés aux arbres, chaque été. Et on voudrait qu’il n’y en ait plus du tout. C’est clair.
Alors, quand on dit «sans sucres», c’est qu’il y en a plusieurs, dans les autres boissons qui ne sont pas sans sucres. Elles ont plusieurs sucres, donc. Mais quoi ? Plusieurs morceaux de sucre ? Ou plusieurs sortes de sucres ? Là, ça commence par être tiré par les cheveux. Surtout quand on sait les merdes qu’ils mettent pour remplacer le sucre, style l’aspartame… Et puis j’ai bien regardé, «sans calorie», ça finit par être légèrement mensonger. Il y a en fait 0,3 calorie pour 100 ml. Donc 3 calories pour 1 litre. Donc là, il faudrait non seulement mettre un «s» à calorie, mais ne pas mettre «sans» devant dès lors qu’on a une bouteille d’un litre ou plus. Je vais aller acheter une bouteille d’un litre de Coca Light pour vérifier s’il n’y a pas écrit «sans calorie» quand même. Et si c’est écrit, je reviens sans bouteille. Sans «s», car d’habitude, je n’en achète qu’une seule.
Petit exercice pour finir : «s» ou pas «s» ?
- Le dernier livre de Marc Lévy est sans intérêt(s)
- Les sans-abri(s) sont des sans-domicile(s)-fixe(s), parfois des sans-papier(s)
- Je fais l’amour sans préservatif(s)
- L’équipe de France de Football est une équipe sans histoire(s)
- J’adorais l’émission «Histoire sans parole(s)»
Les 5 premiers à donner les bonnes réponses gagneront une canette de Coca sans sucres, sans calorie, sans apastharme, sans eau, sans gaz et sans électricité.
Je ramasse les copies demain. Sans faute(s).