Je crois vous l’avoir déjà dit, j'aime bien être seul. Evidemment, pas tout le temps. Comme une respiration, parce que ça me fait du bien, ça me vide la tête. Je ne pense à rien, je marche à mon rythme, je m’arrête quand je le veux, car tel est mon bon plaisir solitaire. Je regarde aussi ce que je veux. Je peux même parler tout seul. J’ai souvent croisé Bertrand Tavernier vers les Halles : il soliloque, lui aussi. Le bonhomme est loin d’être dingue, pourtant. Je crois plutôt qu’il ne veut se parler qu’à lui-même, qu’il ne supporte que son propre monologue, à ce moment précis. Il fait ses questions et ses réponses. Cette tentation, j’y cède volontiers.
Aux yeux des autres, je dois passer pour un ours. Le genre à aller pêcher mon saumon dans un coin reculé, connu de moi seul, comme les coins à champignons. Puis me le goinfrer en solitaire, me taper une petite sieste sous le pâle soleil pour digérer, la tête posée sur le rocher, entouré de jacinthes d’eau. Enfin, revenir bien tard parmi mes congénères en pensant à autre chose, sans le moindre début de soupçon d’un remords de n’avoir rien partagé avec qui que ce soit. Je suis un ours. Vous ne pouvez pas savoir comme c’est bon. Sauf s’il vous arrive d’être un ours vous-même.
Pour bien revendiquer cette monomanie, j'ai créé un groupe sur Facebook “J’aime bien être seul”.... On est déjà une bonne soixantaine. Je ne devrais pas m’arrêter en si bon chemin. Si je crée un groupe «Je suis agoraphobe», «N’approchez pas, je suis contagieux» ou «Moi aussi, je dissimule des fonds secrets en Suisse», nul doute que ce sera la ruée. Rien à faire. J’aime bien être seul, mais je ne suis pas le seul. Tôt ce matin, je suis passé au Luxembourg. Même les abeilles des ruchers dormaient encore, c'est pour vous dire. Il y avait les inévitables joggeurs, qui piétinaient en rond la poussière des allées extérieures du jardin, casquettes et écouteurs sur les oreilles. Et puis de ça, de là, dans les allées intérieures, des individus seuls, hommes, femmes esseulés, isolés, en train de lire ou de rêver. C’était étrange, car des cercles de chaises vides témoignaient que le soir précédent, des groupes avaient occupé ces endroits, pour rire ensemble et vider force canettes. On pouvait les dénombrer : 9, là, 4 ici, cinq là-bas. Je n’ai qu’une seule explication : le soir, on socialise ; le matin, on redevient ermite. C’est fatigant, à la longue, la multitude.
J’adore ma ville, Paris, pour ça. Aller dîner avec 5, 6 personnes, et revenir en rêvassant. Lever la tête vers les nuages entourés de cohortes de parisiens pressés. Courir vers un rendez-vous et s’arrêter dans une librairie pour rien, juste pour cinq minutes, pour lire les premières pages d’un vieux livre sur la jeunesse de Léonard de Vinci… Un formidable réservoir de rencontres dont on ouvre le robinet comme on veut. Le reste du temps, le laisser infuser, savoir qu’il est là, qu’il nous attendra bien. Passer d’une personne, d’un groupe à l’autre en se ménageant des trajets balisés par soi-même. Dans ma tête, des pensées irrationnelles, des émotions rattrapées par le col, des idées sans lendemain, d’autres en devenir, des revues de détail des événements récents.
Parfois, aussi, je me remémore les bons moments du passé, comme les dérapages incontrôlés de mes contemporains. Un prof m’avait dit un jour «Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces». Sa face simiesque qui s’accordait si bien à ses proverbes lafontainesques a été gravée définitivement dans mon disque dur. En marchant près du canal, j’ai une réminiscence en voyant un promeneur à la tête de prof à la retraite. Me revient alors le phrasé sentencieux de mon pédant pédagogue. Et mes côtes sont à nouveau secouées par une hilarité irrépressible. Ceux qui me voient doivent me prendre pour un taré.
De ce côté-là, pas de souci de rupture de stock. Sans arrêt, de nouveaux clips viennent enrichir mon vidéostore intérieur. Récemment, un manager, à qui je proposais de changer ses méthodes, et qui refusait systématiquement mes propositions, me lâcha un étrange «On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif». Je lui répondu «Vous avez bien raison». Il a rougi sous l’outrage. Mais ce n’est rien en comparaison de ce qui l’attend. Il va braire pour l’éternité dans mes rêveries de promeneur solitaire.
Illustrations : Wikipedia, Le Douanier Rousseau, Hyacinthe Rigaud,
Aux yeux des autres, je dois passer pour un ours. Le genre à aller pêcher mon saumon dans un coin reculé, connu de moi seul, comme les coins à champignons. Puis me le goinfrer en solitaire, me taper une petite sieste sous le pâle soleil pour digérer, la tête posée sur le rocher, entouré de jacinthes d’eau. Enfin, revenir bien tard parmi mes congénères en pensant à autre chose, sans le moindre début de soupçon d’un remords de n’avoir rien partagé avec qui que ce soit. Je suis un ours. Vous ne pouvez pas savoir comme c’est bon. Sauf s’il vous arrive d’être un ours vous-même.
Pour bien revendiquer cette monomanie, j'ai créé un groupe sur Facebook “J’aime bien être seul”.... On est déjà une bonne soixantaine. Je ne devrais pas m’arrêter en si bon chemin. Si je crée un groupe «Je suis agoraphobe», «N’approchez pas, je suis contagieux» ou «Moi aussi, je dissimule des fonds secrets en Suisse», nul doute que ce sera la ruée. Rien à faire. J’aime bien être seul, mais je ne suis pas le seul. Tôt ce matin, je suis passé au Luxembourg. Même les abeilles des ruchers dormaient encore, c'est pour vous dire. Il y avait les inévitables joggeurs, qui piétinaient en rond la poussière des allées extérieures du jardin, casquettes et écouteurs sur les oreilles. Et puis de ça, de là, dans les allées intérieures, des individus seuls, hommes, femmes esseulés, isolés, en train de lire ou de rêver. C’était étrange, car des cercles de chaises vides témoignaient que le soir précédent, des groupes avaient occupé ces endroits, pour rire ensemble et vider force canettes. On pouvait les dénombrer : 9, là, 4 ici, cinq là-bas. Je n’ai qu’une seule explication : le soir, on socialise ; le matin, on redevient ermite. C’est fatigant, à la longue, la multitude.
J’adore ma ville, Paris, pour ça. Aller dîner avec 5, 6 personnes, et revenir en rêvassant. Lever la tête vers les nuages entourés de cohortes de parisiens pressés. Courir vers un rendez-vous et s’arrêter dans une librairie pour rien, juste pour cinq minutes, pour lire les premières pages d’un vieux livre sur la jeunesse de Léonard de Vinci… Un formidable réservoir de rencontres dont on ouvre le robinet comme on veut. Le reste du temps, le laisser infuser, savoir qu’il est là, qu’il nous attendra bien. Passer d’une personne, d’un groupe à l’autre en se ménageant des trajets balisés par soi-même. Dans ma tête, des pensées irrationnelles, des émotions rattrapées par le col, des idées sans lendemain, d’autres en devenir, des revues de détail des événements récents.
Parfois, aussi, je me remémore les bons moments du passé, comme les dérapages incontrôlés de mes contemporains. Un prof m’avait dit un jour «Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces». Sa face simiesque qui s’accordait si bien à ses proverbes lafontainesques a été gravée définitivement dans mon disque dur. En marchant près du canal, j’ai une réminiscence en voyant un promeneur à la tête de prof à la retraite. Me revient alors le phrasé sentencieux de mon pédant pédagogue. Et mes côtes sont à nouveau secouées par une hilarité irrépressible. Ceux qui me voient doivent me prendre pour un taré.
De ce côté-là, pas de souci de rupture de stock. Sans arrêt, de nouveaux clips viennent enrichir mon vidéostore intérieur. Récemment, un manager, à qui je proposais de changer ses méthodes, et qui refusait systématiquement mes propositions, me lâcha un étrange «On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif». Je lui répondu «Vous avez bien raison». Il a rougi sous l’outrage. Mais ce n’est rien en comparaison de ce qui l’attend. Il va braire pour l’éternité dans mes rêveries de promeneur solitaire.
Illustrations : Wikipedia, Le Douanier Rousseau, Hyacinthe Rigaud,