Merci de taper les dix chiffres de votre numéro de téléphone...
Je suis las. Ça fait 50 fois que j'appelle, que je me tape la voix pénible, la musique à se flinguer, les numéros clients à préparer... 50 fois que ça ne sert à rien, que le robot ne comprend pas, que je recommence, que ça coupe, que je me trompe dans les chiffres avec mes gros doigts boudinés, que j'attends des plombes, que je raccroche en voulant mettre le haut-parleur pour pouvoir faire autre chose en attendant, que je repars pour un tour... 50 fois qu'on me serine le tarif d'une communication en France métropolitaine et que je n'en ai ai strictement RIEN A BRANLER!
Désolé, nous n'avons pas reconnu le numéro composé...
Ça devrait marcher, ça va marcher, c'est bon maintenant... Et puis non, ça ne marche pas. La loupiote s'obstine à clignoter orange. Ma box me joue Super-Résistant à la connexion. Je ne sais pas ce qui se passe... Le fil de cuivre est peut-être rongé par le remords de coûter si cher. L'humidité dans le sol a attiré des lombrics obsédés qui grignotent les gaines. Les ordinateurs ont attrapé le chikungunya. La pelleteuse a de l'arthrite dans le bras et ça l'empêche de creuser les tranchées des réseaux fibre optique. Les employés du centre d'appel au Kirghizistan ont entendu dire qu'il y avait des pays où les gens étaient payés pour faire ce qu'ils font et ils sont partis vérifier cette rumeur idiote. Faites un effort, tous, je vous en prie, un bon mouvement. Je veux juste pouvoir accéder à Internet sur mon ordi, de chez moi. C'est idiot, mais j'en ai un peu besoin. Je sais, je pourrais dresser un pigeon voyageur. Ou un mainate. Je pourrais aussi envoyer des messages sur des silex taillés.
Le temps d'attente avant la mise en relation avec votre conseiller est gratuit, si vous appelez d'une ligne fixe...
J'ai beau éteindre, rallumer, relancer, rebooter, débouter, débiter, emboiter, marabouter, rien à faire, ça déconne tout le temps. J'en suis quitte pour surfer sur mon Iphone à 110 € par mois. En plus, il y a une zone sans réseau dans mon appart et je ne peux plus bouger de l'endroit où je suis si je veux rester en ligne. Et encore, il faut mettre le téléphone à plat sur le lit. Et en tirant sur le cordon pour qu'il reste alimenté. Parce que le coup des batteries à plat qui coupent ma communication, il me l'a déjà fait, ce cancrelas à piles. En attendant, je dois taper mes mails du bout de mes doigts plein de sueur sur un carré luminescent de 1cm2. J'évite de faire des accents. Je maudis la correction automatique qui transforme "box" en "boss". Tout ça à genoux entre le coin du lit et le bord de la fenêtre, pour ne pas perdre le réseau. Avec mon dos... C'est vrai que j'ai une excuse : je n'ai que ça à foutre.
Votre attente est estimée à moins de 10 minutes... Mouahaha!
Un de ces jours, ils vont payer. Je me vengerai et là, ils verront. En attendant, je ne peux pas raccrocher. Serrer les dents. Tenir. Comme Guillaumet dans les Andes. J'aurais les doigts anlylosés, les lèvres gercées, les yeux entartrés. Mais je serai récompensé : j'aurais enfin mon conseiller. Il me prendra dans ses bras et je pleurerai à chaudes larmes, je lui dirai que je n'y suis pour rien, que mon numéro est bien le gn gn gn gn gn, que j'habite bien gna gna rue Machin, que j'ai payé tout comme il faut, que le fric a bien été débité, que mon compte a été approvisionné par une donation de Liliane Bettencourt. Que même Banier en a fait une péritonite. C'est sa faute, il n'avait qu'à ne pas mettre tous ses œufs dans lui-même... J'ai rentré les codes, j'ai tapé "admin", et re-"admin", et même "trou du cul", ça m'a défoulé, tellement j'étais à bout. Mais j'aurais pas dû, j'ai tout planté. Alors maintenant, qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Dites-moi avec qui je dois coucher, si ça peut aider, l'effort me paraîtra moins surhumain. Si au moins, je pouvais aller aux toilettes... Mais je vois déjà le tableau si mon conseiller reprend la communication au moment fatal, et que je dois retourner à mon ordi le jean sur les chevilles.. Avec la visio intégrée, ce serait un désastre. Tant pis, je prends le risque. Ils me font chier, autant que ça serve à quelque chose.