On l'a retrouvée sans vie dans son domicile londonien de Camden Square, le 23 juillet. Les médias britanniques ont déjà l'explication : overdose. Les dépêches d'agence répètent à l'envi qu'Amy «se battait depuis plusieurs années avec des problèmes d'alcool et de drogue». Ils repassent en boucle le concert de Belgrade, en juin dernier, qu'elle a dû abandonner sous les huées. Ils feraient bien de nous remontrer aussi cette cérémonie des Q Music Awards, le 30 octobre 2006, où elle cravacha le visage de Bono d'un cinglant «Shut up! I don't give a fuck!» ("Ta gueule, on s'en fout"). C'est vrai qu'on s'en fout, des pleurnicheries humanitaires de Bono, de ses diamants dans l'oreille et de ses lunettes de médecin légiste. Mais elle a été la seule à lui dire en face. Rien que pour ça, grâce lui soit rendue.
Elle se savait condamnée à plus ou moins brève échéance, à cause d'un emphysème qui lui ravageait les poumons et que le crack aggravait à chaque nouvelle dose. Elle aurait dû arrêter de fumer, de boire, de se droguer. Rien que ça, mais tout ça pour quoi ? Finir comme Victoria Beckam, formée par le même manager qu'Amy ? Arrêter de chanter pour porter sur contrat du Dolce & Gabana, des TBS, pour boire du Pepsi, pour voir David Beckham se raser avec Gillette ? Ou pour continuer à se dandiner langoureusement comme Shakira, Beyonce, fausses pulpeuses aux décolletés profonds et aux chansons creuses. Mais elle ne savait qu'écrire (bien) et chanter (divinement) et ne voulait faire rien d'autre. En 2006, elle répondit aux instances de ses managers qui voulaient la mettre en cure de désintoxication par un tube planétaire, magnifié par sa voix rauque, rythmé par ses vibrations soul et transcendé par ses tripes déjà ravagées :
They tried to make me go to Rehab but I said 'no, no, no'...
Ah si elle avait été raisonnable… Si elle avait écouté les autres. Si elle avait décidé de rentrer dans le rang. Si elle accepté de quitter le rôle de diva déglinguée que lui collaient des médias sans complexe, assoiffés de clash et de scandale, aussi prompts à saluer ses succès venus d'outre-espace qu'à braire avec des postures de faux dégoutés devant ses vomis entre deux chansons, sa cigarette à la sortie de la cure ou sa balade pieds nus, en jean et soutien-gorge, un jour en bas de chez elle. Dans tous les cas, l'indignation comme l'adulation faisaient cracher le tiroir-caisse, pendant qu'Amy Winehouse se balançait déjà au bord de l'enfer.
En apprenant sa mort soudaine, je n'ai pas pensé à Janis Joplin, ni à Jim Morrison, comme elle décédés à 27 ans dans les vapeurs des paradis artificiels. J'ai songé à Alphonsine Plessis, surnommée la dame aux camélias, morte à 23 ans de la tuberculose. Elle aussi aurait pu s'en sortir, se soigner, rentrer dans le rang… Mais elle avait choisi de vivre la vie qu'elle avait voulue, à l'image d'Amy Winehouse qui se désolait encore dans le magazine Rolling Stone de sa séparation avec Blake Fielder-Civil, l'homme qu'elle aimait et qui l'avait fait tomber dans l'alcool.
Il est des destins qui nous fascinent autant qu'ils nous horrifient. Surgis de nulle part, survolant notre existence, éclairant notre ciel plombé jusqu'à nous brûler les yeux, ils disparaissent dans le néant en laissant derrière eux une trainée de lumière et des ondes vibrant pour une éternité. Longtemps après sa mort, on entendra encore avec des frissons le tempo de la batterie rythmant la chanson désormais attachée à la vie si courte de cette chanteuse exceptionnelle.
They tried to make me go to Rehab but I said 'no, no, no'...