C'est un tableau qui attire l'œil. La scène, chargée d'émotion, nous donne à voir toute la douleur d'une femme penchée sur sa droite pour étouffer et masquer ses larmes. Le sujet choisi mérite explication. “Après la faute” (“After the misdeed”, dans les collections de la Tate Gallery de Londres), peint par Jean Béraud, raconterait donc la réaction d'une femme après un adultère. Sans plus de précision sur le sujet, on en est réduit aux conjectures.
La femme pleure dans son mouchoir, après un rapport sexuel avec un homme. Mariée, on le suppose par le titre du tableau, mais on ne voit pas l'alliance car on ne distingue pas l'annulaire de sa main gauche (ce serait possible mais il est caché par le coussin du canapé). Elle est habillée pour une fête : robe chic, chaussures vernies dont l'une apparait sous la robe à droite, fourrure autour du cou dont les deux extrémités tombent, formant comme deux pattes d'un animal un peu ridicule qui semble la porter sur ses genoux.
On peut penser qu'elle a cédé aux avances d'un homme au cours d'une soirée où elle s'est rendue. La scène se passe dans un petit salon discret à l'écart de la salle de bal. Tout est rouge sombre : le tapis, le divan, les tentures, dans des références classiques à la défloraison. La jeune femme est seule : l'homme est retourné vers les fêtards la laissant à son chagrin. Tel un regard divin réprobateur, la lumière qui tombe du lustre semble la contraindre à détourner le visage. Le tableau transpire la posture moralisatrice : la faute est commise, mais il est bien tard pour prendre conscience des conséquences d'une coupable légèreté que la bonne société réprouve. Comme ils ont dû se cacher pour céder à leurs élans, elle doit encore se dissimuler et étouffer ses sanglots dans les coussins, afin d'éviter d'attirer l'attention.
Pourquoi pleure-t-elle ? La réponse n'est pas aussi évidente qu'on le croit. Le regret d'avoir cédé malgré les éventuelles conséquences, si son mari l'apprenait, n'est pas forcément le plus fort. Le plus difficile pour ces femmes de la fin du 19e est de se dire qu'elles ne seront plus considérées comme convenables, et d'abord aux yeux mêmes de leurs amants, avant que la nouvelle ne transpire auprès de leurs amis ou proches.
La peinture évoque un roman de Guy de Maupassant auquel elle est souvent associée en illustration, Bel-Ami, paru en 1885 (soit l'une des dates de la période pendant laquelle a été peint peint le tableau), satire de la bonne société française de la fin du XIXe siècle. L'amant arriviste, collectionneur d'aventures, en joue avec cynisme pour parvenir à ses fins d'évolution sociale, dans les milieux du journalisme et des grandes banques de l'époque, tandis que se multiplient en arrière-plan les scandales politico-financiers du moment.
La jeune femme porte une robe à la mode à cette époque (et qu'on retrouve d'ailleurs dans le tableau de Béraud "La pâtisserie Gloppe"). Le buste est enserré dans un corset qui affine en outre la taille, très fine, tandis que le postérieur est rehaussé par une tournure, avatar de la crinoline disparue en 1867. Ce vêtement de dessous placé sous le jupon est gonflé par un réseau de baleines métalliques qui ne couvrent que l'arrière du corps et libèrent le devant, à la différence de la défunte crinoline. On appelle ironiquement cet ensemble le “faux-cul”.
Dessous, selon les canons féminins de l'époque, le fameux frou-frou : une longue chemise en coton, un corset par dessus, un cache-corset brodé, des pantalons au bas de dentelles, une tournure et un ou des jupons sous la robe.
Ami de Proust (il sera son témoin dans le duel de Marcel Proust contre Jean Lorrain), mondain, le peintre Jean Béraud s'est spécialisé dans les vues de la vie parisienne : scènes des grands boulevards, affluence des magasins, grisettes, ouvrières sortant du travail, soldats en parade, bourgeois sortant de l'église… Avec ce tableau peint entre 1885 et 1890, Il reprend ici un thème très en vogue à l'époque : celui des femmes en proie «à leurs propres passions et à celles du sexe opposé», comme le souligne ironiquement la Tate Gallery, chez qui ce tableau est exposé, depuis le legs d'Emilie Yznaga depuis 1937. Pas de fantaisie picturale : on est dans la scène de genre et le courant impressionniste qui triomphe à Paris ne semble pas perturber le style hyper-réaliste de Béraud.
Illustrations : Tate Gallery, Wikipedia, Proust