Excitée comme une puce, folle d’inquiétude, et si... ça ne se passe pas comme prévu ? Je conduis vite, me gare sur un passage piéton. Je crie à ma mère de se dépêcher, c’est vrai ça, elle ne peut pas sortir plus rapidement de la voiture ? Elle m’énerve... Elle m’énerve, ma mère, avec ses conseils, ses certitudes, elle ne sait pas ce que c’est, elle, d’être mère, c’est vrai ça !
Euh... non, c’est faux ! C’est ma mère. Elle sait. D’ailleurs, elle sait toujours tout, elle m’énerve voilà parce que... parce que c’est ma mère. Mon mari, lui, ne pipe mot, je le sens soucieux, ses regards interrogateurs vers ma mère m’exaspèrent. Nous courons dans l’hôpital, du reste on nous gronde, je m’en fous. Aujourd’hui je vais rencontrer ma fille pour la première fois ! Elle a un mois, je ne la connais pas. Née par césarienne, des ambulanciers géants l’ont emmenée à l’hôpital pour enfants, à 20 km de la maternité. Des complications pour elle, des complications pour moi.
Je suis paniquée. Si je ne lui plais pas à ce bébé ! Si je ne ressens rien en le voyant ! Comment est ce bébé ? Si ce bébé est moche, raté, raté quoi, trois bras, quatre jambes, deux têtes, je sais, je dis n’importe quoi, j’ai peur ! Ma mère a beau me dire que c’est une jolie petite fille, je ne l’ai jamais vue, même pas en photo. Elle vit dans sa couveuse. Il parait qu’elle est petite, vraiment petite, ressemble à une «crevette rose» dit son père, «encore plus petite», répond ma mère.
Mais petite comment ? Un kilo 800 çà fait quoi ? Ça ressemble à quoi, un bébé si petit ? Elle est brune avec beaucoup de cheveux. Ah ah, moi je suis blonde ! Nous enfilons nos blouses, nos chapeaux, nos chaussons, nos masques, nous lavons nos mains, nous sommes devant une paroi vitrée derrière laquelle un couloir, où des infirmières passent en courant. Derrière ce couloir, une vitre et... une rangée de couveuses.
Ma mère me guide devant une couveuse et m’annonce fièrement «Voici ta fille. Regarde comme elle est mignonne, ses petits pieds, ses mains fines, ses beaux cheveux». Je pense «Ses perfusions sur les tempes, ses bras retenus par du sparadrap, un bonnet en laine ridicule sur la tête, une couche trois fois trop grande, des jambes maigrelettes». Et je déclame, dépitée : «Elle est moche ma fille !» Mon mari éclate de rire
- «Belle Maman, enfin, ce n’est pas mon bébé, ça, ma fille est dans cette couveuse là, à droite, regardez...»
- «Mais tu ne reconnais pas ton enfant, moi je reconnais bien ma petite fille, c’est celle-ci»
- «Mais non, c’est cette couveuse-là, regardez ses cheveux !»
Ils se disputent ! Ma mère et mon mari se disputent devant deux couveuses! Les autres parents observent ces deux chiffonniers devant une rangée de couveuses, je me sens hors du monde, loin de ce vacarme, étrangère. Je blêmis. Une douce aide-soignante s’approche de moi, me demande le prénom de mon bébé, sourit et me chuchote «Venez Madame, là ce sont deux petits garçons. Votre petite fille est dans une autre salle, elle a une jaunisse, nous l’avons séparée des autres».
Je perds pied, je tombe dans les pommes, j’entends l’aide-soignante soupirer : «Ça arrive chaque fois, les nouvelles mamans sont toutes comme ça»...
- «Ouvrez les yeux Madame, regardez votre fille !»
La couveuse a été roulée, là devant moi. Je découvre une puce sauteuse qui balance ses bras, ses jambes d’un côté de l’autre, sa minuscule tête est rasée, des tuyaux s’échappent de ses bras, ses pieds, sa tête. Elle est agitée, animée d’une vivacité incroyable. «Elle est attachée par du sparadrap, elle remue tellement, elle arrache ses perfusions», m’explique la soignante, «Elle est minuscule et pleine de vie». Elle me plait. Je sens que je lui plais, ses agitations diminuent au son de ma voix. Ma mère et son père, qui nous avaient suivis, en chœur s’exclament : «On aurait dû savoir que sa fille ne pouvait pas dormir sagement comme les deux autres bébés !»
Entre pleurs et rires, je m’extasie : «Elle est belle ma fille !».
Corinne Dias