J’ai vu passer un article, du Monde, signé Frank Nouchi, qui évoquait la grande lassitude des blogueurs. Bon (A chaque fois que je dirais «Bon» dans cette note, ce sera juste pour m’inviter moi-même à prendre sur moi et à ne pas trop m’énerver). Je lis vite fait l’article en question. Bon. Il résume le coup de pompe d’un ex-journaliste du Monde, Bruno Frappat, devenu blogueur quand la retraite fut venue. Lequel se plaint d’être fatigué d’avoir à réagir sur la dernière phrase de tel ou tel politique, aux tenues de la femme d’Obama, aux frasques de Berlusconi ou aux démêlés du Pape avec le préservatif. Et Nouchi, vieux briscard du journal du soir, de regretter l'époque où on pouvait musarder, de gloser sur la course infernale contre le temps, et d’évoquer, la larme à l’œil, le garde champêtre de jadis, journaliste malgré lui, «qui roulait tambour dans le village pour aviser la population de la vie comme elle était». Bon, bon.
Déjà, moi, dès qu’on me parle de garde champêtre, me revient en tête cette comptine enfantine dont les rimes riches font honneur à l’esprit français le plus raffiné. Car cette chronique campagnarde à faire sangloter Charles Péguy que nous sert le journaliste n’est que le dernier avatar du feuilleton interminable «L’internet tue la presse écrite», écrit d’une plume d’oie rageuse à la lueur des chandelles par des médias moribonds. Voilà ce qui arrive quand des journalistes se mêlent de bloguer. Ils continuent, comme si de rien n’était, à traiter l’actualité qui leur tombe tous les jours sur le coin du nez. Forcément, ils se fatiguent. Mais ce n’est pas le blog qui est fatigant. C’est l’actualité. Un blog, on le prend, on le développe comme on veut, et on l’arrête quand on en a marre. Regardez Nicolas Vanbremeersch. Et si on l’arrête, comme lui, on n’en fait pas tout un pataquès. Tandis que l’actualité, on ne peut pas la laisser tomber.
Le rouleau compresseur de l'info arrive aveuglément, et même de plus en plus vite. Mais elle arrive aussi maintenant par des canaux (twitter, facebook, wikipedia...) qui n’ont plus rien à voir avec les canaux traditionnels. J’ai appris la mort de Guillaume Depardieu par Facebook. La fiche de l’acteur décédé était à jour sur Wikipédia depuis de longues heures, pendant que les médias négociaient encore le communiqué de presse avec la famille. Et je proclame que je m’informe plus par ce que je repère ou par ce que les gens de mes réseaux (comme Guy Kawasaki) me signalent que par les sites des médias traditionnels.
Ceci explique donc que je ne traite jamais l’actualité dans ce blog. Ou très rarement (je ne sais plus, en fait). Je vais vous raconter une histoire personnelle qui éclaire tellement ce point de vue que je vous conseille de mettre des lunettes de glacier. Quand j’étais au collège, je me dépêchais de rentrer à la maison avant mon frère, pour pouvoir lire le journal du jour avant lui. Il était déjà froissé par les mains de mon père et gribouillés par les mots croisés de ma mère. On partageait le canard en deux, en général mon grand frère se gardait la page des sports, la plus recherchée. Moi je lisais, résigné, les pages politique ou les faits divers. Bon. Mais je les lisais jusqu’à la dernière ligne. J’ai gardé longtemps cette boulimie de la lecture de la presse, au lycée puis à la fac, puis dans la vie future (qui est devenue ensuite ma vie passée, ce qui est le propre de tous les futurs du monde).
Jusqu’à un soir sinistre d’avril 2002, où l’on se retrouva avec Le Pen au second tour. J’ai aimé la politique, l’actualité et la presse jusqu’à ce jour-là. Tout ça pour ça ! L’écœurement qui m’a saisit alors n’est jamais reparti. Moi le lecteur fidèle, j’ai cessé du jour au lendemain d’acheter le moindre journal. Moi le fidèle auditeur, je n’écoute plus qu’épisodiquement France Info, ou juste pour avoir l’heure. Mais surtout, moi le téléphage endurci, j’ai déserté le petit écran et je me suis habitué à la lumière rassurante de mon ordinateur relié à Internet. Et le pire dans ce tout ça, c’est que je me sens aussi bien informé. Voire mieux. Voire cent fois mieux. Alors quand on vient me parler de la course infernale contre le temps, bon, Bon, BON…