J’ai 17 ans, je suis étudiante à Paris, je prends le train chaque jour. Trois jeunes hommes entre dans mon compartiment, ferment le loquet, m’obligent à boire du mauvais whisky à l’aide d’un entonnoir. Au terminus, ils m’emmènent dans un minuscule appartement haut perché, me portent dans les escaliers, me jettent sur un lit. Sans délicatesse, ces hommes enlèvent mon pantalon vert.
Je ne me souviens que de détails sordides : la couleur et la fermeture éclair du pantalon, ma tête qui cogne sur le mur à chaque coup de boutoir, le visage de chaque homme au dessus de moi, l’un après l’autre, le plafond écaillé, les draps sales, des odeurs qui me répugnent, une envie de vomir, de pleurer... Je suis inerte.
Je me souviens de leurs énervements : pour enfiler mon pantalon, descendre les escaliers, me déposer dans le métro sans que les passants ne se doutent de quelque chose. J’entends des cris, je revois le visage d’un pompier, penché au dessus de moi, je me souviens de sourires à l’hôpital, du verdict : violée à plusieurs reprises par plusieurs hommes.
Je me souviens du visage horrifiée de ma mère, à mon chevet, du directeur de l’école de commerce et de son regard bienveillant, d’un médecin, d’infirmières compatissantes. Trois jours… Trois longs jours avant que mon père n’entrebâille la porte de ma chambre. Je découvre la déception, le dégoût dans son regard gris. Il est froid, distant, apeuré, triste, si triste. Il n’ose ni m’approcher ni me parler, juste ce regard perdu, ce regard d’enfant battu… Je le vois rapetisser devant moi, il est tellement malheureux !
J’attends qu’il me prenne dans ses bras, me berce, m’assure de son amour, m’affirme qu’il m’aime malgré tout, que je suis toujours sa fille aimée. J’ai peur de lui, j’ai envie de le consoler, lui, mon père, de crier «Papa, je t’aime, aime-moi encore!». Je reste muette, il est sourd à ma détresse. Je découvre un homme faible, triste, petit.
Il descend à jamais de son piédestal ; sa statue de père, de protecteur, s’envole à jamais. Depuis lors, nous n’avons jamais abordé ce sujet. Seule la brèche de nos souffrances respectives est béante, entre nous.
Corinne Dias
Je ne me souviens que de détails sordides : la couleur et la fermeture éclair du pantalon, ma tête qui cogne sur le mur à chaque coup de boutoir, le visage de chaque homme au dessus de moi, l’un après l’autre, le plafond écaillé, les draps sales, des odeurs qui me répugnent, une envie de vomir, de pleurer... Je suis inerte.
Je me souviens de leurs énervements : pour enfiler mon pantalon, descendre les escaliers, me déposer dans le métro sans que les passants ne se doutent de quelque chose. J’entends des cris, je revois le visage d’un pompier, penché au dessus de moi, je me souviens de sourires à l’hôpital, du verdict : violée à plusieurs reprises par plusieurs hommes.
Je me souviens du visage horrifiée de ma mère, à mon chevet, du directeur de l’école de commerce et de son regard bienveillant, d’un médecin, d’infirmières compatissantes. Trois jours… Trois longs jours avant que mon père n’entrebâille la porte de ma chambre. Je découvre la déception, le dégoût dans son regard gris. Il est froid, distant, apeuré, triste, si triste. Il n’ose ni m’approcher ni me parler, juste ce regard perdu, ce regard d’enfant battu… Je le vois rapetisser devant moi, il est tellement malheureux !
J’attends qu’il me prenne dans ses bras, me berce, m’assure de son amour, m’affirme qu’il m’aime malgré tout, que je suis toujours sa fille aimée. J’ai peur de lui, j’ai envie de le consoler, lui, mon père, de crier «Papa, je t’aime, aime-moi encore!». Je reste muette, il est sourd à ma détresse. Je découvre un homme faible, triste, petit.
Il descend à jamais de son piédestal ; sa statue de père, de protecteur, s’envole à jamais. Depuis lors, nous n’avons jamais abordé ce sujet. Seule la brèche de nos souffrances respectives est béante, entre nous.
Corinne Dias