J’étais un peu maladroit au début. Je n’avais jamais peint avec une bombe aérosol. J’étais intimidé aussi. C’était mon premier tag, ma première fresque. Auparavant, nous avions recouvert le mur de silex de peinture blanche pour effacer le précédent graffiti. C’est un peu cruel mais cela fonctionne comme cela. Peindre sur les murs est par nature quelque chose d’éphémère.
Cela faisait un peu plus d’un an que, toutes les fins de semaines, les murs de ce vieil entrepôt étaient devenus le point de rendez-vous des tagueurs. On y voyait un peu de tout. Des choses banales et puis, de temps en temps, des fresques admirables qui nécessitaient parfois deux à trois semaines de travail. Pour ne pas que le tag soit recouvert avant d’être achevé, les artistes écrivaient sur le mur “work in progress”.
Le street art me fascinait depuis que j’avais découvert cette pratique dans les années 80 lors d’un voyage à New York. A cette époque-là, les wagons et les couloirs du métro étaient les surfaces de prédilection des tagueurs new-yorkais. Si j’avais toujours aimé dessiner et avais peint quelques toiles, je n’avais encore jamais osé me mettre au graffiti.
Je faisais toutes les semaines le tour de l’entrepôt pour prendre des photos. Un jour qu’un artiste était à l’œuvre, je lui demandais l’autorisation de le photographier en train de peindre. Nous avions un peu parlé puis, au fil des mois, nous avons sympathisé. Son travail était reconnu et il avait maintenant un nom dans le milieu du street art. Je n’osais lui révéler mon désir secret de pratiquer cet art. Alors que je l’entendis dire un jour au détour d’une conversation qu’il donnait des cours, je me mis à rêver que, grâce à lui, je franchissais enfin le pas.
Afin de m’habituer à manier les bombes aérosols, je me lançais d’abord dans la réalisation de quelques pochoirs. Après quelques esquisses, je finalisais mon projet sur un carton épais puis découpais soigneusement ce qui deviendrait le dessin final. Je m’exerçais d’abord en créant des choses simples : un canard, un tournesol, une carte de roi de cœur, puis j’étudiais la calligraphie de ce qui deviendrait mon nom de tagueur. Avec la pratique, je pourrais ensuite créer des formes de plus en plus grandes et, à mon tour, recouvrir un mur de mon nom d’artiste.
C’est ce que j’avais entrepris ce jour-là. La fresque devait faire environ trois mètres sur trois. J’avais d’abord tracé les contours des lettres. Ensuite, je couvrirai l’intérieur de peinture, puis repasserai sur les bords avec une autre couleur et agrémenterai la surface des lettres de signes que j’avais créés et qui seraient, en quelque sorte, ma marque de fabrique.
J’étais très concentré sur mon travail quand une sirène, à laquelle je n’avais d’abord pas prêté attention, se mit à résonner de plus en plus fort. Je regardais autour de moi et vit tout le monde se précipiter pour remballer vite fait leurs affaires. Je n’eus pas le temps, quant à moi, de faire quoi que ce soit. La sonnerie du réveil finit par me sortir de mon sommeil et de mon rêve. Je n’étais pas devenu le roi du street art d’un coup de baguette magique. Je n’avais pas franchi le pas et ne savais toujours pas manier une bombe aérosol. Je m’appelais toujours Paul Cresson mais j’avais trouvé mon pseudonyme et je savais maintenant comment je le dessinerais peut-être un jour sur une toile ou sur un mur.
Didier Millot
Cela faisait un peu plus d’un an que, toutes les fins de semaines, les murs de ce vieil entrepôt étaient devenus le point de rendez-vous des tagueurs. On y voyait un peu de tout. Des choses banales et puis, de temps en temps, des fresques admirables qui nécessitaient parfois deux à trois semaines de travail. Pour ne pas que le tag soit recouvert avant d’être achevé, les artistes écrivaient sur le mur “work in progress”.
Le street art me fascinait depuis que j’avais découvert cette pratique dans les années 80 lors d’un voyage à New York. A cette époque-là, les wagons et les couloirs du métro étaient les surfaces de prédilection des tagueurs new-yorkais. Si j’avais toujours aimé dessiner et avais peint quelques toiles, je n’avais encore jamais osé me mettre au graffiti.
Je faisais toutes les semaines le tour de l’entrepôt pour prendre des photos. Un jour qu’un artiste était à l’œuvre, je lui demandais l’autorisation de le photographier en train de peindre. Nous avions un peu parlé puis, au fil des mois, nous avons sympathisé. Son travail était reconnu et il avait maintenant un nom dans le milieu du street art. Je n’osais lui révéler mon désir secret de pratiquer cet art. Alors que je l’entendis dire un jour au détour d’une conversation qu’il donnait des cours, je me mis à rêver que, grâce à lui, je franchissais enfin le pas.
Afin de m’habituer à manier les bombes aérosols, je me lançais d’abord dans la réalisation de quelques pochoirs. Après quelques esquisses, je finalisais mon projet sur un carton épais puis découpais soigneusement ce qui deviendrait le dessin final. Je m’exerçais d’abord en créant des choses simples : un canard, un tournesol, une carte de roi de cœur, puis j’étudiais la calligraphie de ce qui deviendrait mon nom de tagueur. Avec la pratique, je pourrais ensuite créer des formes de plus en plus grandes et, à mon tour, recouvrir un mur de mon nom d’artiste.
C’est ce que j’avais entrepris ce jour-là. La fresque devait faire environ trois mètres sur trois. J’avais d’abord tracé les contours des lettres. Ensuite, je couvrirai l’intérieur de peinture, puis repasserai sur les bords avec une autre couleur et agrémenterai la surface des lettres de signes que j’avais créés et qui seraient, en quelque sorte, ma marque de fabrique.
J’étais très concentré sur mon travail quand une sirène, à laquelle je n’avais d’abord pas prêté attention, se mit à résonner de plus en plus fort. Je regardais autour de moi et vit tout le monde se précipiter pour remballer vite fait leurs affaires. Je n’eus pas le temps, quant à moi, de faire quoi que ce soit. La sonnerie du réveil finit par me sortir de mon sommeil et de mon rêve. Je n’étais pas devenu le roi du street art d’un coup de baguette magique. Je n’avais pas franchi le pas et ne savais toujours pas manier une bombe aérosol. Je m’appelais toujours Paul Cresson mais j’avais trouvé mon pseudonyme et je savais maintenant comment je le dessinerais peut-être un jour sur une toile ou sur un mur.
Didier Millot